
Alors que les personnes étrangères bénéficient moins de parloirs que les autres personnes détenues, elles sont aussi limitées dans les possibilités de communication avec leurs proches résidant à l’étranger. Obstacles principaux : le coût démesuré des appels, les lourdeurs logistiques et les contraintes sécuritaires.
Isolées parmi les isolées. Pour la plupart des personnes détenues étrangères, les rendez-vous au parloir avec un ami, une compagne ou un parent sont plus rares. En 2020, 54 % de celles qui avaient participé à une enquête(1) initiée par Emmaüs-France et le Secours catholique ne recevaient pas de visites, contre 38 % pour les personnes de nationalité française.
À l’éloignement géographique s’ajoutent, pour les proches, des lourdeurs administratives et logistiques qui viennent amoindrir les possibilités de visites. Si depuis 2014(2), le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) souligne la nécessité d’une souplesse du règlement pour les proches venus de l’étranger, il arrive encore que ces derniers se voient refuser un parloir pour quelques minutes de retard ou pour un document manquant. (...)
En 2018, lors d’une visite en Guyane, l’équipe du Contrôle constatait : « Les conditions d’octroi d’un permis de visite à des personnes étrangères n’ont pu être clairement explicitées alors même que la moitié des personnes détenues au centre pénitentiaire de Rémire-Montjoly sont de nationalité étrangère »(3). Et même lorsque la personne a des attaches familiales en France, d’autres facteurs peuvent limiter le nombre de parloirs, comme la régularité du séjour des proches sur le territoire. « Être en situation régulière n’est en rien obligatoire pour se rendre au parloir, mais les proches qui n’ont pas de titre de séjour préfèrent souvent les éviter, par peur des contrôles », a ainsi remarqué Me Yannis Lantheaume, avocat à Lyon.
Au quotidien, les étrangers doivent donc souvent se contenter des rencontres avec des bénévoles de la Cimade, un aumônier et ou un visiteur de prison, qui pallient comme ils peuvent l’absence des proches(4). Pour la plupart, la rareté des parloirs se traduit par un isolement accru, mais aussi par l’absence de certains soutiens matériels (...)
À défaut de visites, nombreux sont celles et ceux qui doivent s’en remettre aux dons d’associations caritatives ou encore à ceux de codétenus. (...)
Les prix prohibitifs des télécommunications
En l’absence de parloirs, les personnes étrangères sont souvent contraintes de se rabattre sur les contacts téléphoniques et épistolaires. Sauf que le coût des correspondances vers l’étranger peut s’avérer rédhibitoire, notamment s’il nécessite l’achat de timbres spéciaux. Autre difficulté, les délais d’acheminement des courriers, encore rallongés par des exigences sécuritaires : lorsque les lettres sont rédigées dans une langue étrangère, elles peuvent être retenues par l’administration pénitentiaire le temps d’être traduites. (...)
L’ACMINOP(6) a par exemple mis en place un système permettant de scanner les courriers des personnes détenues hispanophones, lusophones ou italophones et de les envoyer par email à leurs familles. À la MAF de Fleury- Mérogis, l’association dispose même d’une boîte aux lettres interne qui permet aux femmes d’y déposer leurs lettres sans avoir à les affranchir. (...)
Le coût des communications téléphoniques vers l’étranger est encore plus prohibitif. En 2020, les détenus devaient créditer sur leur compte un minimum de 20 euros pour pouvoir appeler hors de France – une somme correspondant à 45 minutes d’appel sur un portable au Maghreb, 20 dans le reste de l’Afrique, 29 pour l’Amérique latine. « C’est une situation d’autant plus grotesque et incompréhensible qu’à l’extérieur, les personnes ont accès à des forfaits illimités pour une dizaine d’euros », s’agace la nouvelle Contrôleure générale des lieux de privation de liberté Dominique Simonnot. Pour téléphoner à leur famille, les personnes incarcérées sont donc contraintes de dépenser des montants qui pèsent bien trop lourd sur leur budget. (...)
« [Pour appeler à l’étranger], une femme détenue a signalé dépenser mensuellement une centaine d’euros qu’elle retire de son compte alimenté par son salaire mensuel à l’atelier, de 150 euros. » Des situations d’autant plus absurdes que les personnes étrangères ont moins accès à des soutiens financiers de leurs proches. En 2020, seuls 24 % des personnes étrangères ayant répondu à l’enquête menée par Emmaüs-France et le Secours catholique déclaraient recevoir des mandats, contre 41 % des personnes de nationalité française(7).
Décalage horaire
Au prix exorbitant des appels s’ajoutent d’autres obstacles. Souvent, le décalage horaire avec le pays de résidence des proches est incompatible avec les horaires d’ouverture de la cabine de la prison. Une difficulté que l’installation progressive du téléphone fixe en cellule, accélérée depuis le début de la crise sanitaire, tend à résoudre, mais pas encore pour tous. Faute de mieux, certains détenus choisissent alors, malgré le risque de sanction, d’utiliser un téléphone portable. (...)
En outre, plusieurs avocats interrogés par l’OIP signalent le refus opposé à leurs clients d’inscrire des numéros de téléphone étrangers sur la liste des numéros autorisés.
Le CGLPL plaide pour l’accès des détenus, et a fortiori des étrangers isolés, aux téléphones portables, aux services de messagerie en ligne et aux appels en visioconférence. Cette dernière solution, déjà testée en Belgique, est actuellement expérimentée dans les maisons d’arrêt de Villefranche-sur- Saône et de Fresnes. (...)
D’après la direction de l’administration pénitentiaire (DAP), près de 150 dispositifs de ce type devraient être déployés sur l’ensemble du territoire d’ici la fin 2020, et près de 400 en 2021. L’accès aux visioparloirs, pour le moment gratuit, est censé atténuer les situations d’isolement redoublées par la crise sanitaire et non pas remplacer les « vrais » parloirs. « Ils deviendront payants à l’issue [de la crise], à un tarif qui n’est pas encore arrêté dans le cadre de la concession », précise la DAP. Reste à espérer que ce service ne devienne pas, une fois l’épidémie de Covid passée, aussi inabordable que les appels téléphoniques.