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Mediapart
Être LGBT+ en Afghanistan : « Ici, on nous refuse la vie, même la mort »
Article mis en ligne le 15 août 2022

Désastre économique, humanitaire, droits humains attaqués… Un an après avoir rebasculé dans les mains des talibans, l’Afghanistan n’en finit pas de sombrer. Pour la minorité LGBT+, le retour des fondamentalistes islamistes est dévastateur.

« S’il vous plaît, sauvez-moi de cet enfer. » C’était il y a sept mois. La neige recouvrait les collines, des familles brûlaient meubles et tapis pour se chauffer faute de pouvoir se payer du bois, d’autres pleuraient leur enfant mort de famine, mendiaient du pain. Terré dans sa chambre, Najib*, 26 ans, nous envoyait depuis son téléphone un message de détresse. Le premier d’une longue série. (...)

Après des jours de cogitations, il acceptait que l’on se rencontre dans un lieu « safe » de la capitale afghane où il est arrivé transpirant de peur et flottant dans ses vêtements tant il a maigri. « Ici, on nous refuse la vie, même la mort. S’ils découvrent mon homosexualité, ils me tueront et ils m’interdiront le cimetière. » (...)

Najib vit dans un des endroits les plus dangereux au monde quand on est LGBT+, un pays où une loi criminalise les relations homosexuelles : l’Afghanistan. Il y a un an, le 15 août 2021, le retour au pouvoir des talibans a exacerbé les périls.

Les fondamentalistes islamistes n’ont officiellement pas édicté de politique de sanctions. Mais la barbarie de leur règne inaugural de 1996 à 2001 où les homosexuels pouvaient être exécutés en public, ensevelis vivants, hante les mémoires.

Un dignitaire taliban, questionné par Mediapart, évacue le sujet éminemment tabou dans la société afghane en levant de gros yeux au ciel et en invoquant une seule boussole : la charia, la loi islamique qui, dans sa plus stricte interprétation, punit de mort l’homosexualité.

D’autres responsables se font plus précis, à l’instar de ce juge taliban interviewé par le journal allemand Bild, soutenant qu’il ne peut y avoir que « deux châtiments » pour un homosexuel : « soit la lapidation, soit il doit se tenir devant un mur qui lui tombe dessus. Le mur doit faire entre 2,5 et 3 mètres de haut ».

Quand est-ce que tu te maries ? Regarde tes cousins, ils sont plus jeunes que toi et tous mariés, pères.

En janvier 2022, l’ONG de défense des droits humains Human Rights Watch (HWR) a publié un rapport glaçant. Intitulé « Même si tu te réfugies au ciel, nous te retrouverons », il documente le nombre croissant de menaces, de viols, d’agressions et de détentions arbitraires visant les Afghan·es LGBT+ sous la botte talibane.

Une soixantaine d’entre eux et elles racontent, sous pseudonyme, la persécution à cause de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, les violences, les attaques en meute, les mariages précoces et forcés, le chantage, les dénonciations, la peur d’être tué·e (...)

Le supplice, c’est d’« être mort vivant », de devoir cacher des aspects fondamentaux de son identité à sa famille, à ses amis, à la société, de ne pas pouvoir être pleinement soi. De tout contrôler en permanence - sa manière de marcher, de se vêtir, de parler, de danser, d’être au monde, de respirer - pour ne rien laisser transparaître. De réprimer ses désirs, de s’interdire d’avoir toute relation intime, d’aimer, d’être aimé. Même clandestinement. Par peur d’être piégé, dénoncé, battu, violé, tué.

L’exil, seule planche de salut si l’on veut revenir à la vie quand on est homosexuel en Afghanistan. (...)

« Où que je me tourne, je ne vois que l’obscurité, la noirceur » : un pays dans le gouffre qui fait face à un désastre économique, humanitaire, où les droits les plus élémentaires sont bafoués, les minorités sexuelles persécutées, les femmes et les fillettes opprimées, condamnées au voile intégral, privées de travail, d’éducation, de liberté de mouvement…

Najib n’a qu’un confident : un canari, encagé comme lui dans sa chambre, et nous, désormais, deux journalistes qu’il assaille d’appels à l’aide : « Je vous confie ma vie en témoignant. » Il est soulagé aux larmes de parler pour la première fois, de partager son secret si lourd. (...)