
Votre belle-mère est possédée par le diable ? Un esprit frappeur joue des congas chez vous la nuit ? Vous cherchez le numéro de SOS Exorcistes mais votre Minitel vous répond en araméen ? Grâce au Parisien, vous ne vivrez plus dans la peur et l’ignorance. S’inspirant courageusement de la ligne éditoriale d’Infos du monde [1], le grand quotidien populaire a consacré le 16 décembre dernier une pleine page à l’exorcisme et au paranormal en Île-de-France. Vade retro, rationalitas !
« Même si les cas de possession démoniaque spectaculaire […] sont rares, la pratique de l’exorcisme, aujourd’hui méconnue, n’en demeure pas moins importante pour la foi chrétienne. » Cette phrase qui affirme tranquillement l’existence de « possessions démoniaques » – plus ou moins spectaculaires... – ne provient pas du site Internet de Civitas ou d’un blog sur le paranormal mais du premier quotidien national d’information générale en France : Le Parisien [2].
Lutte contre l’insécurité en Île-de-France : « le père Alain pratique une dizaine d’exorcismes chaque année »
Composé de quatre articles, un surprenant « dossier » a été publié le 16 décembre 2014 dans le supplément de l’édition parisienne du quotidien [3]. Le texte principal est le compte rendu d’une rencontre avec un des quatre prêtres exorcistes officiant en Île-de-France, le père Alain. Manifestement, le journaliste n’est pas resté insensible au charisme de l’exorciste francilien : « Pull-over noir, mèche rebelle et demi-sourire empathique ». Un portrait photo vient confirmer cette description engageante. L’article renvoie à une vidéo tout aussi bienveillante du « témoignage » du père Alain [4].
Avec une « neutralité » dont il est avare lorsqu’il s’agit de rendre compte, par exemple, de mouvements sociaux [5], Le Parisien restitue sans distance les propos du père Alain qui, parmi bien d’autres affirmations fabuleuses, « estime à une quarantaine, le nombre des véritables cas de possession traités chaque année en Île-de-France. » Un journal sérieux s’inclinant devant des données chiffrées, le quotidien reste donc sans voix (...)
après avoir laissé entendre que les possessions démoniaques et « l’esprit du mal » étaient des phénomènes réels et que la pratique de l’exorcisme était légitime, voilà que le quotidien affirme l’efficacité de la prière... Il faudrait inventer le « prix Albert Lourdes ».
Enquête sur l’appartement hanté de Stéphanie
Le « dossier » se poursuit par un article consacré au témoignage de « Stéphanie, 37 ans, se disant victime de manifestations paranormales ». Il s’agit encore une fois de la restitution passive d’affirmations fantastiques (...)
À aucun moment la réalité des phénomènes et la véracité des témoignages ne sont questionnées, aucune preuve n’est exigée ; on a ici affaire à un « journalisme d’enregistrement » d’une grande complaisance à l’égard de l’irrationnel et de « l’étrange ». Le goût du sensationnel conduit parfois à des pratiques journalistiques... para-normales.
Avant de passer à l’examen du reste du « dossier », le moment est peut-être bien choisi pour rappeler le montant des aides à la presse dont bénéficie le journal du groupe Amaury : en 2013, Le Parisien a reçu de la collectivité près de 4 millions d’euros et Aujourd’hui en France, 12 millions [7]. Gageons que les pouvoirs publics s’assurent que ces « assistés » respectent la charte éthique qu’ils revendiquent... (...)
à aucun moment Le Parisien n’envisage que les croyances religieuses puissent avoir une part de responsabilité dans les cas de « possession démoniaque ». Pourtant il semble légitime de se demander si l’Église, en expliquant la démence par l’action d’une entité maléfique et en culpabilisant la victime pour l’avoir « invitée », n’est pas à l’origine – au moins en partie – des maux qu’elle prétend pouvoir soigner. Quoi qu’il en soit, par sa complaisance à l’égard de l’exorcisme et du paranormal, Le Parisien fait preuve d’une irresponsabilité que les chartes de déontologie journalistique en vigueur condamnent [11].
La pratique du journalisme implique la rationalité, le respect des faits, mais aussi une responsabilité vis-à-vis des effets que l’on peut produire. Il semble plus que jamais nécessaire d’encourager le développement d’une culture de la rigueur argumentative et de la démonstration dans les médias. Tout le monde en profitera, sauf bien sûr ceux – particuliers, entreprises et institutions – qui tirent argent et pouvoir de l’exploitation de la superstition et de l’obscurantisme [12]. (...)