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Orient XXI
Face à Trump, l’Europe peut encore sauver l’accord sur le nucléaire iranien
Robert Malley est président de l’International Crisis Group. Il était auparavant conseiller du président Barack Obama pour le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord et le Golfe et négociateur de l’accord nucléaire iranien.
Article mis en ligne le 19 mai 2018

La décision du président Donald Trump de se retirer de l’accord signé sur le nucléaire iranien pourrait avoir des conséquences désastreuses sur l’avenir du Proche-Orient. Raison pour laquelle l’Europe doit faire tout ce qui est possible pour le sauver.

De toutes les nombreuses décisions guidées par l’obsession de Donald Trump de détricoter l’héritage de Barack Obama, le retrait des États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien est sans doute celle qui aura les conséquences les plus lourdes pour les intérêts américains, pour les relations transatlantiques, mais aussi pour l’ensemble du Proche-Orient.

Il fallait être doté d’une impressionnante capacité à tordre les faits pour dénoncer un accord qui fonctionne et prendre le risque d’une escalade militaire afin d’empêcher l’Iran de relancer un programme nucléaire que l’on était parvenu à stopper par voie diplomatique, ou d’un embrasement régional dans un contexte de tensions accrues. Bref, la réimposition des sanctions américaines contre l’Iran est irresponsable, inutile et dangereuse. (...)

Plusieurs scénarios sont possibles. Le plus dangereux serait que les dirigeants iraniens, échaudés par le retrait américain, se retirent à leur tour de l’accord et reprennent leur programme nucléaire. Option imprudente et risquée dont pourraient découler des frappes militaires américaines ou israéliennes, et dont résulterait une crise avec l’Europe, mais qui est loin d’être inconcevable. Pour certains officiels iraniens, la seule attitude plus dangereuse que d’ignorer ses craintes serait de les afficher. Ne pas réagir au retrait américain du JCPOA serait, selon cette lecture, faire acte de faiblesse et inviterait donc à de nouvelles pressions.

Autre option, plus probable celle-là : que l’Iran réponde, mais indirectement, en menaçant la présence américaine en Irak ou en faisant monter la pression anti-israélienne en Syrie (les évènements de ces derniers jours en donnent un avant-goût) ou contre l’Arabie saoudite au Yémen. C’est là un réflexe iranien coutumier : réagir de façon asymétrique et transposer le combat sur un terrain où Téhéran jouit d’un avantage relatif. Là encore, et surtout dans le climat actuel, il s’agirait d’un choix hasardeux dont certains — Israël en tête — chercheraient éventuellement à profiter pour tenter de régler la question iranienne une fois pour toutes.

La dernière option, la plus favorable, est que l’Iran prenne son temps, continue de respecter l’accord, attende (peut-être un peu plus de deux ans…) que le climat s’éclaircisse à Washington, et cherche avec l’Europe à contrecarrer l’Amérique plutôt qu’à l’affronter. C’est l’option défendue par le président Hassan Rouhani et son ministre des affaires étrangères Mohammad Javad Zarif, et c’est celle pour laquelle les pays du Vieux Continent ont le plus grand rôle à jouer.

MAINTENIR UN DIALOGUE AVEC TÉHÉRAN

Ça ne sera pas chose facile. Politiquement, et malgré la volonté affichée du président Emmanuel Macron d’essayer de négocier un nouvel accord — plus vaste celui-là, englobant la question des missiles balistiques iraniens et de sa politique régionale —, l’Europe devrait clairement signaler aux États-Unis que sans respect de l’accord existant, ou au minimum sans allégement significatif des sanctions américaines, il ne pourra être question d’en conclure un nouveau. De même, l’Europe devrait réfléchir à deux fois (sauf provocation iranienne) avant de renforcer ses propres sanctions contre l’Iran, que ce soit au sujet des missiles ou de sa politique régionale. Cela apaisera les dirigeants iraniens qui craignent que l’Europe n’absolve rapidement Washington, oublie sa transgression et accepte de se joindre aux pressions américaines. (...)

Sur le volet économique enfin, l’objectif est de convaincre les dirigeants iraniens qu’il vaut mieux conserver un partenariat même limité avec l’Europe contre les États-Unis que de se retrouver seul face aux États-Unis sans le soutien de l’Europe. Pour ce faire, la France et ses partenaires devront trouver les moyens, dans un monde financier globalisé et toujours dominé par le dollar, de garantir à l’Iran des dividendes suffisamment importants malgré la réimposition des sanctions américaines à effet extraterritorial — c’est-à-dire les moyens de rassurer et de protéger ses entreprises qui souhaitent continuer à travailler avec l’Iran. (...)

Après le retrait américain, et même si l’Europe fait preuve de la meilleure volonté et de la plus grande ingéniosité possible, les bénéfices pour l’Iran vont s’en trouver considérablement réduits. Dur en effet pour une entreprise de prendre le risque de perdre le fructueux marché américain pour bénéficier du modeste marché iranien. Mais des possibilités — détaillées dans un récent rapport de l’International Crisis Group — existent. À l’Europe et l’Iran de les développer et les mettre en œuvre.

L’enjeu est de taille. (...)

les risques d’escalade régionale aujourd’hui sont au point culminant, la diplomatie quasiment au point mort. Éviter le pire, et donc éviter une conflagration régionale exigera que l’Iran fasse preuve de patience et de modération ; l’Europe de persévérance, d’unité et de fermeté ; la Russie de volonté de médiation entre Israël et l’Iran ; les États-Unis d’un brin de pragmatisme ; et Israël de retenue. Bien téméraire qui pariera là-dessus. Reste que le pire serait une catastrophe et ne pas tout tenter pour le prévenir serait le comble de l’irresponsabilité. (...)