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le Monde Diplomatique
Face à la montée de l’intolérance Alliance des civilisations
par Kofi Annan Ancien secrétaire général des Nations Unies > Février 2007
Article mis en ligne le 20 août 2018
dernière modification le 19 août 2018

Les courants du Bosphore sont connus pour être forts et inverses en surface et en profondeur. Cependant, depuis des siècles, le peuple turc a appris à négocier entre ces courants, à la frontière entre l’Europe et l’Asie, et entre le monde islamique et l’Occident, ce qui a contribué à sa prospérité (1). Le rapport « L’alliance des civilisations » souligne avec justesse que la fusion des différences, qu’elles soient d’opinion, de culture, de croyance ou de mode de vie, a été depuis toujours le moteur du progrès humain.

Ainsi, à l’époque où l’Europe traversait l’âge des ténèbres, la péninsule ibérique a bâti son essor sur l’interaction entre les traditions musulmane, chrétienne et juive. Plus tard, l’empire ottoman a prospéré, grâce à son armée certes, mais aussi parce que, dans cet empire d’idées, les techniques et l’art musulmans se sont enrichis des apports juifs et chrétiens.

Malheureusement, plusieurs siècles plus tard, c’est la montée de l’intolérance, de l’extrémisme et de la violence qui marque notre ère de mondialisation. Loin de faire naître la compréhension et l’amitié mutuelles, le raccourcissement des distances et l’amélioration des communications ont souvent engendré la tension et la méfiance. Nombreux sont ceux, en particulier dans les pays en voie de développement, qui en sont arrivés à redouter le village planétaire, synonyme à leurs yeux d’agression culturelle et de saignée économique. La mondialisation menace autant leurs valeurs que leur porte-monnaie.(...)

A l’heure où les migrations internationales amènent un nombre sans précédent de personnes de religions et de cultures différentes à vivre côte à côte, les a priori et les stéréotypes qui sous-tendent l’idée de « choc des civilisations » sont de plus en plus répandus. Certains groupes semblent impatients de fomenter une nouvelle guerre de religion, à l’échelle mondiale cette fois, et l’indifférence, voire le mépris souverain, que d’autres manifestent à l’égard de leurs croyances ou de leurs symboles contribue à leur faciliter la tâche.

Bref, l’idée d’une alliance des civilisations ne peut arriver à un meilleur moment, d’autant que nous ne vivons pas dans des mondes différents, au contraire de nos ancêtres. Les migrations, l’intégration et la technique ont rapproché les différentes communautés, cultures et ethnies, faisant tomber les vieilles barrières et laissant apparaître de nouvelles réalités. Nous vivons, comme jamais auparavant, les uns à côté des autres, soumis à de nombreuses influences et idées différentes.

La diabolisation de l’« autre » s’est révélée la voie facile. En ce XXIe siècle, nous demeurons otages de notre perception de l’injustice et de nos droits. Notre discours est devenu notre prison. (...)

Pour commencer, nous devrions réaffirmer, et démontrer, que le problème n’est pas le Coran, la Torah ou la Bible, que le problème n’est pas la foi, mais les croyants et la façon dont ils se comportent les uns envers les autres. Nous devons mettre en avant les valeurs de base communes à toutes les religions, c’est-à-dire la compassion, la solidarité, le respect de la personne, la règle d’or « Ne fais pas à d’autres ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse ». En même temps, refusons de nous faire une image de tout un peuple, de toute une région ou de toute une religion à partir des crimes commis par des individus ou de petits groupes.

Nous connaissons tous les avantages que peuvent apporter les migrants à leur nouvelle patrie, non seulement en tant que travailleurs mais aussi en tant que consommateurs, entrepreneurs et facteurs d’une culture plus riche et diverse. Mais ces atouts ne sont pas équitablement répartis, et ne sont souvent pas estimés à leur juste valeur par les populations d’accueil, dont une grande partie a tendance à considérer les immigrés comme une menace pour leurs intérêts matériels, leur sécurité et leur mode de vie ancestral.(...)

Désapprendre l’intolérance est en partie une question de protection juridique. Cela fait longtemps que le droit à la liberté de religion, celui de ne pas avoir de religion, et celui de ne pas faire l’objet de discrimination pour sa foi sont consacrés par le droit international et ont été incorporés dans les législations nationales. Toute stratégie visant à établir des passerelles doit dépendre fortement de l’éducation – pas seulement pour l’islam ou le christianisme, mais pour toutes les religions, traditions et cultures, de façon que les mythes et les distorsions puissent être perçus comme tels.

Nous devons aussi créer des possibilités pour les jeunes gens, leur offrir une solution de rechange crédible au chant des sirènes appelant à la haine et à l’extrémisme. (...)

Nous devons préserver la liberté d’expression tout en travaillant pour qu’elle ne serve pas à propager la haine ou à infliger l’humiliation. Nous devons les convaincre que les droits s’accompagnent d’une responsabilité, et que l’exercice de ceux-ci devrait s’effectuer avec tact, en particulier vis-à-vis de symboles et de traditions qui sont sacrés pour d’autres personnes. (...)