
Données partagées sur Facebook, pistage via des cookies ou grâce à la géolocalisation de votre smartphone… les informations que nous laissons sur Internet sont de plus en plus nombreuses et sensibles. Pendant qu’en France, certains députés veulent faire des données personnelles un patrimoine à monétiser, le Parlement européen souhaite au contraire mieux les protéger. Un nouveau texte sur la protection de ces données intimes est en discussion à Bruxelles et soumis à un intense lobbying des géants du Net. Un règlement européen doit entrer en vigueur en mai. Quel sont les enjeux ? Ces règlements peuvent-ils mieux nous protéger ?
Le monde entier s’est étonné quand a été révélé il y a quelques semaines le siphonnage géant par l’entreprise Cambridge Analytica des données de dizaines de millions d’utilisateurs de Facebook. C’est pourtant le fonctionnement normal, actuellement, de Facebook. La multinationale californienne n’a pas obtenu le consentement préalable de ses utilisateurs pour partager leurs données : le partage est permis par défaut et l’utilisateur est contraint de l’accepter pour pouvoir utiliser le service Facebook.
Au-delà de l’utilisation du réseau social devenu quasi-incontournable, que se passe-t-il quand je clique « j’accepte » aux demandes de traçage des cookies sur Internet ? Qui s’intéresse de savoir quelles pages web je consulte, ce que je regarde via un moteur de recherche, à qui j’envoie des mails, ou quels achats en ligne je réalise ? Où vont ces données ? Des entreprises s’en servent-elles pour leur marketing, pour profiler mes comportements, pour me démarcher ? Font-elles de l’argent avec ces données ? Ces questions, un internaute ne se les pose pas à chaque fois qu’il entre une adresse URL dans son navigateur, qu’il like un post ou une vidéo, qu’il valide un achat en ligne.
Les députés européens débattent eux de ces sujets depuis près de cinq ans. (...)
Instaurer la règle d’un véritable consentement
Début février à l’Assemblée nationale, les députés français ont discuté d’un projet de loi sur la protection des données personnelles qui doit justement adapter le droit français au règlement RGPD. Ce nouveau règlement européen, adopté en 2016, entrera en vigueur en mai. Il vise notamment à renforcer les obligations de transparence des plateformes qui récoltent les données et les contraindre à demander de manière claire le consentement des internautes pour le traitement de leurs données. Point essentiel, les utilisateurs ne devraient pas être obligés de consentir à l’exploitation de leurs données pour accéder aux contenus d’un site ou d’un service en ligne. En somme, normalement, après mai, Facebook ne pourra plus partager les données de ses utilisateurs sans avoir obtenu auparavant leur consentement clair. Et être obligé de consentir au partage de ces données pour pouvoir s’inscrire sur Facebook ne devrait plus être autorisé.
Certains députés de La République en marche (LREM) ne semblent pas avoir bien saisi que l’idée de ce règlement est de protéger les citoyens face à la marchandisation de leurs données. (...)
. En voulant donner aux citoyens un droit de propriété similaire au droit d’auteur ou au droit des brevets sur les données personnelles qu’ils laissent sur Internet, les députés LREM voulaient bel et bien ouvrir à la monétisation de ces données personnelles.
Les riches peuvent protéger leur vie privée, les pauvres peuvent la vendre (...)
La protection des données sur le web est un droit fondamental pour les citoyens qui se heurte aux intérêts d’une industrie qui utilisent ces données comme ressource et qui s’est développée en dehors de tout cadre juridique. Ce qui est discuté à l’échelle de l’Union européenne en ce moment même – renforcer la protection des données – n’est pas du goût de certaines entreprises.(...)
L’impossible anonymisation des données personnelles
ePrivacy prévoit toutefois plusieurs exceptions au recueil du consentement. Une entreprise peut ainsi invoquer un “intérêt légitime” à la collecte de données personnelles pour assurer le fonctionnement d’un service. Or, la frontière entre intérêt économique et intérêt légitime devient vite poreuse. (...)
Le croisement de seulement quelques données anonymes peut permettre de retrouver l’identité d’une personne. Il suffirait par exemple de quatre géolocalisations téléphoniques pour identifier n’importe quel individu [4], ou de trois données basiques (sexe, code postal et date de naissance) pour dé-anonymiser une personne dans une base médicale [5].
Intensif lobbying du business du numérique contre ePrivacy
« Le texte voté au Parlement, même imparfait, garantit les fondamentaux de la vie privée en ligne. Il faut maintenant le défendre face à un conseil européen (réunion des ministres des pays membre, ndlr) très conservateur », expliquait Eva Joly, députée européenne des Verts à Basta ! au moment du vote. Une fois la position du Conseil connue, commenceront les « trilogues » : des négociations tripartites entre représentants la Commission européenne, du Parlement et du Conseil. « Loin de la médiatisation du débat parlementaire, on entre avec les trilogues dans une phase plus opaque de la négociation. Et le conseil européen est également un terrain de jeu privilégié des lobbies », rappelle un assistant parlementaire. (...)