Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
le Monde Diplomatique
Facebook, miroir magique
Article mis en ligne le 26 mai 2011

A l’inscription, Facebook avait validé mon existence en vérifiant un code secret envoyé sur mon téléphone. Il avait aussi insisté pour que je lui donne le mot de passe de mon courrier électronique, afin de récupérer mon carnet d’adresses et ainsi faciliter le repérage de mes contacts — mes « amis », dans la terminologie maison.

Policée en permanence par des algorithmes, en vertu de conditions d’utilisation que personne ne lit, la page bleue de Facebook offre un cocon douillet à ses membres, qui peuvent s’y connecter pour discuter sans se voir envahis de messages parasites. Les publicités sont relativement discrètes, et l’on peut à loisir regarder les photos de ses amis, s’amuser ou s’indigner des mêmes informations qu’eux, jouer aux mêmes jeux, suivre les événements de leur existence les plus triviaux comme les plus heureux. Les messages échangés couvrent tout le spectre de la pensée humaine, de l’indispensable « je prends ma douche » à la réflexion pointue sur l’art contemporain, en passant par les faire-part de naissance (1).

Sur Facebook, les interactions sont toujours positives : on peut, en cliquant sur le bouton ad hoc, « aimer » quelque chose, pas le détester ; on est averti quand on gagne un nouvel ami, pas quand il nous quitte. Divers contrôles protègent l’utilisateur : ainsi, le voyageur qui se connecte depuis un endroit inhabituel se voit soumis à un interrogatoire (ludique) à base de photos, afin de prouver son identité. Tout cela ne va pas sans arbitraire. Des pages sensibles — comme celle d’un groupe de soutien au soldat Bradley Manning, accusé d’avoir transmis des informations secrètes sur la guerre d’Irak au site WikiLeaks — sont parfois suspendues sans explication, puis rétablies quelques jours plus tard…

Ce savant mélange de vie privée et de voyeurisme, ce régime doucereux de transgression modérée et de liberté surveillée a constitué la recette gagnante de M. Zuckerberg.(...)

Librement fournies par les internautes, les données personnelles attirent les convoitises. Elles permettent aux agents du marketing de s’offrir un ciblage — par sexe, âge, date d’anniversaire, langue, pays, ville, niveau d’éducation, centres d’intérêt, etc. — bien plus précis que les sondages des médias traditionnels. Avec une audience qui approche celle de la télévision.(...)

En permettant à chacun de polir sa marque personnelle, Facebook est le miroir magique de notre époque égotiste et publicitaire. L’expérience Facebook procure à l’utilisateur la sensation d’être en permanence en représentation devant cent trente personnes (nombre moyen d’amis) applaudissant chaque geste et chaque bon mot. Plus la projection électronique de notre être reflète la vérité de notre personnalité — ou de notre désir —, plus on se laisse griser par son reflet (3). Ce sentiment conduit chacun à alimenter sa page, de façon parfois compulsive, en publiant ses goûts, son adresse, sa position en temps réel grâce à diverses techniques de géolocalisation, ou la chronique de ses démêlés amoureux.(...)

S’il reste possible de tricher, cela sera à l’avenir plus difficile. Les architectes du monde en ligne et les dirigeants politiques entendent « civiliser » un Internet libre perçu comme une zone de non-droit. S’ils parviennent à le domestiquer, donner son identité réelle sera le prix à payer pour y participer de plein droit. La Toile servait jusqu’ici d’image pour désigner un système décentralisé de réseaux informatiques interconnectés. Nul n’imaginait qu’une araignée frétillante viendrait s’installer en son centre pour épier tous les internautes.(...) Wikio