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Faurisson est mort, mais ses méthodes sont bien vivantes
Article mis en ligne le 27 octobre 2018
dernière modification le 25 octobre 2018

Le négationnisme de la Shoah est un phénomène bien spécifique, mais les postures et l’argumentation de Robert Faurisson se retrouvent dans d’autres discours complotistes.

Selon la thèse officielle, Robert Faurisson serait mort le 21 octobre 2018 à Vichy. Dans son livre Les assassins de la mémoire, l’historien Pierre Vidal-Naquet proposait une analyse détaillée du discours négationniste dont Faurisson fut l’un des représentants. Les négationnistes croient fermement dans une série de postulats qu’ils ne remettent jamais en cause : il n’y aurait pas eu de chambres à gaz, la solution finale n’aurait été qu’une expulsion vers l’est, le nombre de victimes juives serait plus faible que l’on ne le croit, l’Allemagne hitlérienne ne serait pas la principale responsable de la Seconde Guerre mondiale, l’URSS aurait été plus dangereuse que le Troisième Reich, et le génocide aurait été inventé par la propagande alliée, essentiellement juive.(...)

Tout se base sur ce postulat. Les négationnistes n’arrivent pas à la conclusion que le génocide des Juifs n’a pas existé en analysant des preuves. Leur conviction inébranlable –réelle ou feinte– qu’il n’y a pas eu de génocide est le fondement de leur travail. Elle n’est jamais remise en cause. Ils ne cherchent pas à comprendre, mais à prouver à tout prix leur postulat de départ. C’est un premier point commun avec les autres théories du complot.

« Les négationnistes travaillent de la même façon que d’autre conspirationnistes : surexposant certains faits, en occultant d’autres, sélectionnant soigneusement des témoignage orientés... Ils ne laissent pas parler les documents, ils savent d’avance où ils veulent en venir, comme tous les propagandistes », critique Valérie Igounet, historienne, chercheuse associée à l’Institut d’histoire du temps présent (CNRS) et autrice d’Histoire du négationnisme en France.

« Le négationnisme est une théorie du complot particulière qui s’est développée autour de l’antisémitisme »

Pierre Vidal-Naquet analyse ensuite leur argumentation fallacieuse, qui se dissimule sous les apparences de la logique. Chez les négationnistes, tout témoignage prouvant le génocide serait mensonger. Tout document attestant de la réalité de la Shoah serait un faux ou aurait été trafiqué. (...)

C’est un discours qui n’a qu’un but politique : actualiser le vieux mythe du complot juif, prétendre que les Juifs ont inventé ce “terrible mensonge” pour créer un État (Israël) qui va leur permettre de renforcer leur domination, donc que les Juifs sont des menteurs qui veulent extorquer des réparations aux Allemands, que le vrai génocide est celui des Palestiniens », poursuit Valérie Igounet. Dans le cas du négationnisme du génocide arménien, l’objectif politique consiste plutôt à préserver l’intégrité de la nation turque et à éviter le versement d’éventuelles réparations.

À gauche, Noam Chomsky (qui a défendu le droit de Robert Faurisson à s’exprimer) a minimisé le génocide khmer rouge et dénoncé la « diabolisation » de Slobodan Milošević, tandis que son acolyte Edward S. Herman a contesté l’existence du massacre de Srebrenica, dans le but de dénoncer les interventions militaires américaines à l’étranger (notamment en ex-Yougoslavie) comme illégitimes.

Négationnisme et complotisme : une argumentation similaire
« Il y a une réelle spécificité du génocide juif qu’on ne doit pas évacuer. J’ai toujours refusé de parler de génocide en Syrie car ce n’est pas exact, et j’ai toujours refusé de faire un parallèle direct entre le négationnisme de la Shoah et la propagande sur les crimes de guerre en Syrie. Mais il existe des points communs. Par exemple, le discours négationniste ou complotiste se présente comme un discours neutre, critique, avançant qu’“on a le droit de poser des questions”. Mais en réalité c’est une rhétorique au service d’un agenda politique », analyse Marie Peltier, historienne, chercheuse et enseignante, autrice de Obsession – dans les coulisses du récit complotiste.(...)

Robert Faurisson a principalement sévi à une époque où n’existaient ni internet, ni les réseaux sociaux. Les thèses négationnistes n’étaient pas largement diffusées, jusqu’au moment où certains de leurs défenseurs ont été invités dans les médias, à la fin des années 1970, avant d’en être progressivement bannis. Internet a changé la donne.(...)

Internet a aussi aidé à la diffusion des théories du complot et à la propagande des régimes autoritaires. On pense notamment aux théories du complot sur le 11-Septembre, chez qui l’on retrouve les procédés rhétorique utilisés par le négationnisme. (...)

« L’hypothèse que je fais, c’est que le mythe fondateur du conspirationnisme est le 11 septembre 2001. Avec l’entrée dans l’ère internet, les conspirationnistes et les propagandistes liés à des régimes autoritaires [Iran, Syrie, Russie...] ont compris avant tout le monde que le web était un vecteur de propagande. Les médias traditionnels font des vidéos depuis peu de temps alors que le conspirationnisme se propage au format vidéo et image depuis plus de quinze ans », commente Marie Peltier.(...)

Les réseaux sociaux aggravent encore le problème, même si les plateformes ont récemment commencé à fermer des comptes complotistes, propagandistes ou incitant à la haine. Des régimes autoritaires peuvent y orchestrer des opérations de désinformation (y compris le régime birman dans le cadre du nettoyage ethnique des Rohingya). Des contenus complotistes peuvent devenir « viraux » et se propager à très grande vitesse, amplifiés à la fois par des relais de la propagande, des réseaux de bots et des internautes qui y croient.

Au besoin, ceux-ci harcèleront en ligne les activistes et journalistes qui se montrent trop critiques sur le sujet. (...)

La désinformation emprunte même les codes de la culture internet et se diffuse sous forme de « mèmes ». Si la technologie et les codes ont changé, les outils rhétoriques communs au négationnisme et au complotisme sont immuables.