
Même s’il existe des arguments de poids en faveur du double guichet, force est de constater qu’il est très critiqué.
C’est une ligne dans le rapport qui a surpris plus d’une personne spécialiste du sujet. Dans son avis n°129 sur la loi de bioéthique, et notamment sur toutes les questions autour de la procréation médicalement assistée (PMA), le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a glissé cette suggestion : que l’anonymat des futurs donneurs de sperme soit levé, « pour les enfants issus de ces dons », en « respectant le choix du donneur ». Respecter le choix du donneur, est-ce à dire : lui permettre d’être anonyme ou non ? Lors de la conférence de presse qui a accompagné le rendu de l’avis, le spécialiste des questions de procréation pour le CCNE, le psychiatre François Ansermet, n’a pas nié que la proposition était effectivement d’établir cette double option. À une question du Figaro sur les problèmes juridiques potentiellement induits par une telle possibilité de choix, il a répondu, embarrassé : « C’est vrai que cela crée un problème, cette question doit être reprise ».(...)
Le débat sur l’anonymat du don de sperme est complexe et technique. D’un côté, un nombre croissant d’enfants nés par don anonyme dans les années 1980 demandent aujourd’hui à connaître leur donneur, comme l’illustre le cas d’Arthur Kermalvezen, qui a récemment réussi à retrouver la trace de son géniteur. De l’autre, les centres de dons de sperme peinent à recruter et il est aujourd’hui plus difficile de trouver des donneurs non anonymes que des donneurs anonymes, même si cette proportion est en évolution. Chaque année, en France, seulement 600 participants se présentent dans ces centres, et la moitié sont retenus pour le don, sachant qu’un donneur de sperme ne peut donner naissance que dix fois maximum, pour environ 3.500 couples en attente. Les délais d’attente sont d’environ un an.
Dans cette mesure, faut-il trouver un système mixte, avec du don anonyme et du don non anonyme ? Un système qui permettrait d’avancer doucement, arguent ses défenseurs, en emmenant déjà dans le bateau les donneurs d’accord pour apparaître au grand jour, en attendant que les autres se décident à passer le pont. Alors, pour ou contre un système à double choix ? Nous avons listé les arguments de ce débat.(...)
Des systèmes intermédiaires
Sans prôner le double guichet, des praticiennes et praticiens plaident cependant pour des choix intermédiaires, qui ne soient ni un anonymat total, ni une levée totale de cet anonymat. Parmi ces solutions intermédiaires, la plus proche du système actuel est celle de Nathalie Rives, qui souhaite un don anonyme avec transmission de données non identifiantes. « Cet état intermédiaire permettrait de cheminer vers un don non anonyme », estime la présidente de la Fédération française des Cecos.
Mais d’autres vont plus loin. Dans son rapport « Filiation, origines, parentalité », remis au gouvernement en 2014, la sociologue Irène Théry propose non seulement que les donneurs de sperme soient incités à transmettre des données non identifiantes, mais que les personnes issues d’un don de gamètes ou d’embryon puissent « se voir délivrer l’identité de [leur] donneur à [leur] majorité ». Cette information serait délivrée par le Conseil national d’accès aux origines personnelles (CNAOP), qui s’occupe déjà des demandes d’enfants dont les mères ont accouché sous X. Ce droit de se voir délivrer l’identité du donneur ne serait en aucun cas un droit à rencontrer celui-ci, une telle demande devant passer par le CNAOP, qui effectuerait la médiation. « Il faut distinguer le droit à l’information et le droit à la rencontre, explique Irène Théry. Un donneur a droit à sa vie privée. »(...)
Qu’elles soient pour ou contre le double guichet, la plupart des praticiennes et praticiens, des expertes et experts que nous avons interrogées estiment que cette solution ne peut être que transitoire. Elles et ils espèrent que l’anonymat disparaisse avec le temps. Petra De Sutter se veut résolument optimiste : « Dans certains pays, il y a parfois tellement de résistance qu’il vaut mieux être pragmatique. Mais si les gens sont bien informés, je ne peux pas imaginer que dans dix ans des personnes choisiront encore l’anonymat ».