
Article de Vincent Viguié, Chercheur en économie du climat au CIRED (Centre International de Recherche sur l’Environnement et le Développement), École des Ponts ParisTech
Dans les années 1970, à la suite de mai 68, il y eut en France un mouvement de “retour à la terre” d’urbains fuyant les villes et la société de consommation. Plusieurs mouvements de ce type se sont ensuite succédé jusqu’à aujourd’hui, avec la volonté de retrouver une vie plus en phase avec la nature. Faut-il les imiter pour limiter ses émissions de gaz à effet de serre, et plus généralement son empreinte environnementale ?
D’une manière qui peut sembler contre-intuitive, la réponse est plutôt non : les émissions de gaz à effet de serre par personne dans les centres-villes des grandes agglomérations sont en moyenne bien moins importantes que dans les zones rurales. Il est cependant possible, par des choix adaptés, de vivre à la campagne avec des niveaux d’émissions très faibles, même si cela s’avère plus complexe qu’en ville. Pour y voir plus clair, voici 7 points à prendre en compte. (...)
1/ En moyenne, des émissions directes bien plus faibles dans les villes que dans les campagnes
Aujourd’hui, en France, les chiffres sont clairs : pour limiter ses émissions de gaz à effet de serre (transports quotidiens et émissions résidentielles, telles que le chauffage ou l’électricité des équipements électro-ménagers), il vaut mieux être urbain que rural. Il en va d’ailleurs généralement de même, autour de nous, dans les autres pays développés (...)
Attention à ne pas généraliser
D’autres enjeux sont cependant importants à prendre en compte. Tout d’abord, il y a ville et ville, et campagne et campagne. La vie dans une maison isolée dans un hameau au milieu des champs est différente de la vie dans une petite ville rurale bénéficiant de commerces et de services. De manière similaire, dans une grande agglomération, la vie en centre-ville a peu de choses à voir avec la vie dans un lotissement périurbain. Ces chiffres ne prennent pas non plus en compte les émissions indirectes des ménages, liées à leurs achats, ainsi qu’à leurs loisirs.
Mais surtout, ces chiffres dressent le bilan de ce qui est observé aujourd’hui en moyenne dans la population. Ils ne sont donc pas forcément représentatifs des niveaux d’émissions de gaz à effet de serre de personnes faisant des efforts particuliers pour réduire leur empreinte carbone. Est-il possible de vivre à la campagne en ayant une empreinte carbone très faible ? Regardons les différents types d’émissions de gaz à effet de serre un par un.
2/ Les transports quotidiens
Les trajets en voiture représentent en moyenne 20% de l’empreinte carbone des Français. Un facteur fondamental pour réduire ces émissions est la possibilité de se déplacer de manière décarbonée, en transports en commun, ou mieux encore en vélo ou en marchant, pour ses déplacements quotidiens.
En zone rurale, dans les petites villes, et dans les zones périurbaines des grandes agglomérations, une grande partie des déplacements usuels (courses, école, travail, santé etc.) ne peut être faite qu’en voiture. Les véhicules électriques (non hybrides) y semblent être une solution toute indiquée pour réduire les émissions, mais cela ne change pas complètement la donne : si une voiture électrique émet en France cinq à six fois moins qu’un véhicule essence classique, elle émet tout de même en moyenne, en étant optimiste, 39 gCO2/km, tandis que le tramway ou le métro par exemple ne dépassent pas 4 gCO2/km en moyenne par passager transporté, et que le vélo et la marche sont à 0, ou presque.[5] (...)
Il est possible de réduire cet écart en installant chez soi des panneaux photovoltaïques pour approvisionner les véhicules, une partie de l’année, par une électricité issue à 100% d’énergie renouvelable. La réduction est cependant modeste (...)
Pratiquer un covoiturage systématique, et, si possible, mutualiser les véhicules, ou bien utiliser des véhicules électriques intermédiaires (quadricycles, mini-voitures…) si les distances le permettent, est nécessaire pour atteindre les niveaux d’émission des trajets urbains.
3/ Transports à longue distance
Qu’en est-il des trajets de longue distance, par exemple pour partir en vacances ? Il a été postulé il y a quelques années l’existence de l’“effet barbecue”, phénomène selon lequel les habitants des centres-villes, à revenu identique, auraient une plus grande propension à se déplacer loin pour leurs loisirs, leurs week-ends et leurs congés que les autres. La raison en serait que les centres-villes denses sont peu propices à la détente, alors que dans les zones périurbaines et rurales il y a davantage de possibilités de profiter de son temps libre dans son cadre de vie, par exemple autour d’un barbecue dans son jardin. Les aéroports peuvent être de plus mieux accessibles depuis les centres-villes.
Les données permettant de bien étudier ce phénomène sont malheureusement rares, car il est difficile de bien mesurer statistiquement les habitudes gouvernant la mobilité à longue distance, et car de nombreux éléments sont à prendre en compte, comme le fait que les urbains sont plus souvent originaires d’autres villes/pays que la moyenne des habitants. Les études de cas qui ont examiné ce phénomène concluent cependant que celui-ci ne semble pas être validé par les chiffres.[7] (...)
4/ Les logements
La consommation d’énergie pour les logements est, elle aussi, loin d’être mécaniquement déterminée par le fait d’habiter en ville ou à la campagne. (...)
5/ Les émissions associées à notre nourriture
L’alimentation représente près du quart de l’empreinte carbone des Français : faire un potager et se nourrir en grande majorité de ses produits permet de réduire l’impact écologique de sa nourriture. En zone rurale, près de 40% des ménages ont un potager et près de 30% des ménages y cultivent de quoi s’alimenter même en hiver.
Cependant, parvenir à une autonomie alimentaire complète est difficile (...)
En ville, il est difficile d’avoir un potager de cette taille, même si les jardins familiaux et l’agriculture urbaine (culture dans des bacs sur les toits, les terrasses, les balcons) font que la production alimentaire domestique est loin d’être inexistante. (...)
Ce qu’il est important de noter, cependant, est que l’autonomie alimentaire n’est pas forcément nécessaire pour réduire l’empreinte carbone de son alimentation. La consommation de viande, et, dans une moindre mesure, de poisson, représentent 44% des émissions de gaz à effet de serre associées à ce que nous mangeons en France. Si on y ajoute lait, œufs, et produits dérivés, on monte à près de 60% : réduire la consommation de ces produits est de loin l’action la plus efficace à faire pour réduire ces émissions.
Les émissions associées à la consommation de fruits et légumes, qui pèsent pour environ 10% des émissions associées à l’alimentation (soit 2.5% de notre empreinte carbone totale), sont dues essentiellement à la manière dont ceux-ci sont produits : acheter des fruits et légumes de saison et cultivés sans intrants de synthèse (par exemple des fruits et légumes bios) permet de réduire l’essentiel des émissions associées.
Si ceux-ci sont locaux ou produits chez soi, c’est encore mieux, mais le transport des fruits et légumes ne constitue dans tous les cas qu’une partie minoritaire des émissions associées. (...)
Paradoxalement, il faut d’ailleurs noter qu’il peut être difficile de trouver des produits bios en zone rurale et dans les petites villes du fait du manque général de commerces, même si de plus en plus d’initiatives essaient de faire bouger cet état de fait.
6/ Les émissions associées aux biens que nous achetons
Il est ici difficile de conclure, car plusieurs mécanismes opposés sont à l’œuvre. La ville permet de profiter d’une variété de commerces de proximité, de nombreux loisirs à tout moment, et incite donc a priori à un consumérisme émetteur de déchets et de gaz à effet de serre. À l’inverse, comme nous l’avons souligné plus haut, la taille plus réduite des logements en ville limite le volume total de biens de consommation stockables au sein du logement – électroménager et meubles notamment – incitant plutôt à la sobriété. (...)
Un autre élément jouant dans la balance, à l’heure actuelle, est également le manque dans de nombreux territoires ruraux de magasins et services permettant de réduire l’empreinte écologique de ses achats : accès local à des produits de seconde main, magasins proposant des produits locaux et/ou en vrac, services de réparation de produits usagés, tri sélectif efficace, etc.
7/ Les émissions associées à la nature de son emploi (...)
aller vivre en zone rurale permet en effet de vivre de métiers que l’on trouve difficilement en ville, comme les métiers agricoles. C’est d’ailleurs une motivation fréquente des néoruraux actuels. L’impact environnemental d’un changement d’emploi vers un métier agricole est cependant difficile à estimer et dépend beaucoup de chacun.
Il est à noter qu’une augmentation de l’emploi dans l’agriculture va être nécessaire dans les années à venir si on veut généraliser une agriculture à faible impact environnemental et résistante aux impacts du changement climatique, comme l’agroforesterie par exemple.
Conclusion : il y a ville et ville, et campagne et campagne
En conclusion, il est possible d’avoir un mode de vie peu émetteur de gaz à effet de serre que l’on soit dans une grande agglomération ou à la campagne, mais les difficultés et les efforts qui en découlent ne sont pas les mêmes. Être écolo à la campagne, c’est accepter d’avoir un mode de vie très différent de celui qu’on y trouve en moyenne aujourd’hui.
En ville, vivre dans un quartier suffisamment dense pour réussir à ne de déplacer qu’à pieds, en vélo ou en transports en commun (même pour les vacances), choisir un logement petit et bien isolé (dans un écoquartier par exemple), n’acheter que des biens de seconde main et réparables, réduire sa production de déchets (compostage des déchets organiques par exemple), avoir un régime végétarien en consommant des produits achetés en vrac et biologiques (ou autre label environnemental similaire), permettent ensemble d’atteindre des niveaux d’émission par personne extrêmement faibles.
En zone rurale, les mêmes choix entraînent une empreinte carbone similaire, mais ceux-ci peuvent être beaucoup plus complexes à mettre en œuvre. Vivre dans une maison isolée dans les bois ne permet d’avoir une empreinte carbone faible qu’au prix d’une autosuffisance extrêmement difficile à réaliser en pratique. (...)
Une autre difficulté se pose cependant : pour limiter son empreinte environnementale, une contrainte importante est d’emménager dans de l’existant, pour limiter au maximum l’utilisation de ressources pour la construction de bâtiments et surtout l’éventuelle artificialisation des sols associée. Les choix de zones rurales permettant d’avoir une empreinte environnementale faible sont donc en quantité limitée et, si on vise une société où la maximum de gens aient une telle empreinte, il faudra nécessairement qu’un grand nombre d’entre eux vivent en ville.