
Ce trafic rapporterait 200 milliards de dollars et tue de plus en plus. 120 000 enfants succombent chaque année en Afrique. Un trafic qui gangrène tout le continent et contribue au financement du terrorisme. Reportage au Togo d’Isabelle Souquet.
Antibiotiques, antidouleurs, antipaludéens ou traitements contre l’impuissance. Des médicaments les plus anciens aux plus innovants, en boîte ou à l’unité. Mais au lieu de vous guérir, ils risquent d’aggraver votre état de santé ou même de vous tuer. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, un médicament sur dix dans le monde est une contrefaçon. Il peut être mal dosé, ou contenir une toute autre substance que celle indiquée. Ces contrefaçons proviennent le plus souvent d’Asie, fabriquées en Chine, en Inde ou au Pakistan. Et 42% des saisies se font en Afrique, où la faiblesse des système de santé et la pauvreté ont favorisé l’émergence de ce marché parallèle. Peu réprimé, ce marché lucratif attire les organisations criminelles et contribue de plus en plus largement au financement du terrorisme. (...)
De "bonnes dames" qui vendent à des électriciens, secrétaires ou chauffeurs de taxi (...)
Les emballages sont tour à tour criards ou très conformes à ceux des spécialités pharmaceutiques. Aller acheter ces médicaments dans la rue ou au marché, cela se dit ici "aller à la pharmacie par terre".
Alexandre Badjagoma dirige l’ONG F.O.I. Togo, qui essaie de sensibiliser la population au danger des faux médicaments. Inlassablement, il organise des conférences dans les villages, et parcourt les marchés. Ce matin à Gbossimé, il palabre avec une des bonnes dames, sans grand succès. Il aura beau déployer des trésors d’éloquence et d’arguments, rien n’y fera (...)
De quoi faire s’arracher les cheveux aux pharmaciens diplômés. Le docteur Koundé Kpeto est président de l’ordre des pharmaciens du Togo et il a assisté à quelques scènes étranges dans sa propre officine (...)
Un accès difficile aux vrais médicaments
Au Togo, comme dans les autres pays de la sous région, plusieurs facteurs s’additionnent qui rendent difficile l’accès aux vrais médicaments. Les moyens financiers, le manque d’information sur les dangers des produits, et aussi un maillage sanitaire insuffisant. (...)
Une "profession" qui veut même s’organiser au sein d’une instance représentative !
C’est tellement accepté que l’an dernier les vendeurs de médicaments illicites se sont regroupés pour demander aux autorités l’autorisation de créer un syndicat ou une instance représentative de leur "profession". Le docteur Kpeto s’en étouffe "C’est dire à quel point les gens jusqu’à présent peuvent penser que c’est normal d’aller acheter le médicament je ne sais où et de venir le mettre à disposition de la population, et que c’est un simple commerce."
Au Togo, les ports et les aéroports sont sous étroite surveillance, équipés de matériel de détection et de scanners. Les médicaments officiels arrivent en conteneurs par voie maritime ou fret aérien, avec un circuit établi et une documentation précise sur le fabricant et l’importateur, qui doivent être agréés. Peu de marchandise frelatée y transite aujourd’hui. Mais le maillon faible du pays est la frontière terrestre, impossible à surveiller de façon efficace (...)
Non loin du port de Lomé, les saisies de faux médicaments s’entassent dans une cour du bâtiment des douanes. Ces saisies sont régulièrement incinérées, mais cette année, elles ont été massives, et la pièce de stockage est devenue trop petite. (...)
Le travail des douanes et des stups est encore compliqué par la prolifération des trafiquants. Il y a bien sûr les réseaux organisés, mais de plus en plus d’"amateurs" qui se sont improvisés trafiquants. (...)
Cette myriade de petits trafiquants explique aussi que les pays africains soient inondés de faux médicaments. Mais derrières ces "petits entrepreneurs" se cache un autre danger. Ce trafic très prospère intéresse, et de plus en plus, ceux qui sont en perpétuelle recherche de financements illicites : les bandes armées, et les groupes terroristes. (...)
En début d’année, plusieurs chefs d’état africains se sont retrouvés au Togo pour lancer l’initiative de Lomé de lutte contre le trafic de faux médicaments. (...)
Ce n’est pas la première fois que les Etats d’Afrique et les ONG essaient de prendre le problème à bras le corps, mais c’est la première fois que six chefs d’Etat ou leurs représentants ont fait le déplacement et signé un accord en présence du directeur de l’OMS Thedros Adhanom Ghebreyesus, venu plaider pour une coopération et une concertation renforcées.
Le premier chantier à venir est pénal. Dans toute l’Afrique, le trafic de faux médicaments ou de médicaments falsifiés est très peu réprimé. Les peines encourues sanctionnent essentiellement des infractions a la législation sur la propriété intellectuelle, et ne prennent pas en compte le risque parfois vital que les trafiquants font courir à la population. Il y a urgence à légiférer estime l’ancien juge Jean Louis Bruguière (...)
Une fois posé ce cadre législatif et répressif, les pays du continent pourront enfin se lancer dans le grand chantier qui permettra de se débarrasser des faux médicaments de façon pérenne : celui d’une vraie assurance maladie, d’une couverture santé universelle pour l’ensemble des populations. Plusieurs pays s’y sont engagés à l’horizon 2030. Au Togo, de premières mesures ont été instaurées (...)