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Femmes, nourriture et soins
Article mis en ligne le 24 mars 2014
dernière modification le 20 mars 2014

C’est l’heure de préparer à manger et d’allumer les fourneaux, de dresser la table et de sortir les couverts, de faire la liste des courses et d’aller au supermarché ou au marché. A la maison, ces tâches sont majoritairement réalisées par les femmes. Un travail, celui de nous alimenter, qui est indispensable pour notre vie et notre subsistance. Néanmoins, c’est une tâche invisible, non valorisée. Nous mangeons, bien souvent, comme des automates et comme tels nous ne reconnaissons pas ce que nous avalons ni qui met l’assiette sur la table.

Dans les foyers, l’alimentation est toujours le plus souvent un territoire féminin. Ainsi le démontre la dernière « Enquête d’Emploi du Temps 2009-2010 » de l’Institut National de Statistique : dans l’Etat espagnol, ce sont 80% des femmes qui cuisinent dans les ménages, face à 46% des hommes. Et quand elles sont dans la cuisine, elles y consacrent plus de temps, 1 heure et 44 minutes par jour face à 55 minutes pour les hommes. Les femmes assument aussi dans une plus grande mesure les tâches d’organisation (préparer les aliments à l’avance, prévision d’achat…), tandis que les hommes apportent un appui, quand ils le font, dans l’exécution.

Il s’agit de tâches « alimentaires » qui se situent dans ce que l’économie féministe appelle les « travaux des soins », ces tâches qui ne comptent pas pour le marché mais qui sont indispensable pour la vie : élever les enfants, donner à manger, gérer le ménage, cuisiner, s’occuper de ceux qui en ont besoin (les petits, les malades, les personnes âgées), consoler, accompagner. Il s’agit de travaux sans valeur économique pour le capital, « gratuits », qui ne sont pas considérés comme du travail et qui, en conséquence, sont dépréciés en dépit du fait qu’ils équivalent à 53% du PIB de l’Etat espagnol.

Sacrifice et abnégation

Il s’agit ici d’occupations que le patriarcat octroi au genre féminin qui, par « nature », doit assumer ces fonctions. La femme est mère, épouse, fille, grand-mère pleine d’abnégation, elle se sacrifie pour les autres et est altruiste. Si elle ne remplit pas ce rôle, elle porte alors tout le poids de la culpabilité, celle d’être une « mauvaise mère », une « mauvaise épouse », une « mauvaise fille », une « mauvaise grand-mère ». Ainsi, tout au long de l’histoire, les femmes ont développé ces tâches de soin, en fonction de leur rôle genré. La sphère du travail « productif » est, de cette manière, le domaine de la masculinité tandis que le travail considéré comme « improductif », dans le ménage et non rémunéré, est le patrimoine des femmes. Il s’établit une claire hiérarchie entre des travaux valorisés et d’autres de second ordre. On nous impose ainsi des tâches déterminées, valorisées et non valorisées, visibles et invisibles, en fonction de notre sexe.

L’alimentation, la cuisine dans le ménage, acheter des provisions, les petits potagers pour l’auto-consommation, font partie de ces travaux de soins qui ne sont ni valorisés ni visibles mais qui sont pourtant indispensables. (...)

A partir de la métaphore de « l’économie iceberg » et depuis une perspective écologiste, nous voyons également comment la nature fait partie de ce soutien invisible qui permet de maintenir à flot le capital. Sans soleil, ni terre, ni eau, ni air ; il n’y a pas de vie. La richesse de quelques uns et le fétiche de la croissance infinie, reposent sur l’exploitation systématique des ressources naturelles. On revient ici sur la question de ce que nous mangeons ; sans ces ressources, et sans semences, ni plantes, ni insectes, il n’y a pas de nourriture. L’agriculture capitaliste se développe en provoquant la faim, la « dépaysannisation » et le changement climatique à partir de l’abus de ces biens, sans discernement. Une petite poignée y gagne tandis que nous, la majorité, sommes les perdants.

Que faire ? Il s’agit, comme disent les économistes féministes, de placer la vie au centre. De rendre visible, de valoriser et de partager ces travaux de soin ainsi que la nature. De rendre visible ce qui est invisible, de montrer la partie occulte de l’ « iceberg ». De valoriser ces tâches comme étant indispensables, de reconnaître qui les excercent et de leur octroyer la place qu’elles méritent. Et, finalement, de les répartir, d’être co-responsables. La vie et le soutien à la vie est l’affaire de toutes… et de tous. La nourriture également.