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Fin de partie pour Syriza ? Pas si vite…
Article mis en ligne le 24 février 2015

Les commentaires sur l’accord entre la Grèce et l’Eurogroupe ont transformé la défaite provisoire de Syriza en déroute définitive. Il faudra pourtant plusieurs mois pour savoir si c’est vraiment le cas.

Depuis l’arrivée de Syriza au pouvoir en Grèce, deux logiques s’affrontent au sein de la zone euro, sur les plans à la fois économique et politique.

D’un côté, les membres de l’Eurogroupe conditionnent leur soutien financier à une consolidation budgétaire drastique et à des « réformes structurelles » allant dans le sens d’une déréglementation des marchés des biens et du travail. De plus, les autorités européennes affirment que les choix démocratiques d’un peuple ne peuvent pas contrevenir aux traités européens, ni aux exigences des créanciers publics d’un pays. En somme, quels que soient les choix politiques du peuple grec, il lui est dénié la possibilité de rester dans la zone euro et d’y mener des politiques alternatives, sous peine de blocus financier et monétaire.

De l’autre côté, face à ce que l’économiste Cédric Durand et le sociologue Razmig Keucheyan n’ont pas hésité à qualifier de « césarisme bureaucratique », le nouveau gouvernement grec a pour priorité de mettre fin aux conséquences désastreuses de l’austérité qui ravage le pays depuis plusieurs années. Syriza veut éviter de déprimer l’activité par une politique budgétaire trop restrictive et entend réformer son Etat et son économie d’une manière qui ne pénalise pas davantage les citoyens ordinaires. En outre, le parti conteste que la souveraineté nationale puisse être circonvenue par des autorités européennes sans véritable mandat populaire. Autrement dit, son rejet de « l’austérité permanente » cible à la fois sa rationalité économique et sa légitimité démocratique.

Attendu, le choc entre ces deux logiques s’est bien produit, alimentant le suspense de négociations tendues tout au long du mois de février. Plusieurs économistes, dont Frédéric Lordon, avaient prévenu que le gouvernement Tsipras n’aurait d’autre choix que de se soumettre ou de se démettre, en raison de l’intransigeance prévisible de la position allemande. Et de fait, l’Allemagne, en position de domination géo-économique dans la zone euro, a bien cherché à anéantir tout programme alternatif aux mémorandums imposés par la fameuse Troïka (UE, BCE, FMI) à Athènes.

Cette logique du « tout ou rien » nécessite cependant d’être nuancée. (...)

L’accord trouvé samedi 20 février, dont le détail a été bien décrit par Romaric Godin dans La Tribune, semble pourtant donner raison à ceux pour qui la victoire d’un camp et la défaite de l’autre seraient forcément totales. Tandis que des voix, à l’extrême-gauche, ont crié à la trahison de Syriza (qu’elles avaient prophétisée, car elles prophétisent les trahisons de tout gouvernement non révolutionnaire), des journalistes sensibles à la conception allemande de la zone euro n’ont pas manqué non plus de savourer la supposée capitulation du gouvernement grec.

Cette interprétation de l’accord n’est cependant pas la seule possible. Sans partager, faute d’informations et de conviction intime, la thèse d’un savant calcul de Alexis Tsipras et Yanis Varoufakis pour mieux faire exploser le consensus de Bruxelles dans quatre mois, plusieurs observations peuvent être faites.

(1) Le nombre et la nature des concessions faites par Athènes consistent bien en une défaite face à la logique de l’Eurogroupe. Aucune restructuration de la dette n’est envisagée, des impératifs draconiens d’excédents budgétaires s’imposeront à nouveau à partir de 2016 et les réformes souhaitées par Syriza feront toujours l’objet d’une forme de surveillance de ses créditeurs. Wolfgang Schäuble a eu ce qu’il voulait : la poursuite du programme d’aide existant, moyennant quelques aménagements.

(2) Toutefois, un certain nombre de différences avec une extension à l’identique de ce programme sont notables. Le gouvernement grec retrouve une autonomie dans la définition des mesures qu’il souhaite mettre en œuvre pour respecter ses engagements. L’approbation de sa politique par ses créditeurs s’apparente certes à une forme de « souveraineté limitée », mais c’est déjà un progrès. De plus, le pays obtient de respirer pendant quelques mois : il pourra faire face à ses engagements immédiats sans que ses banques se voient couper l’accès au refinancement, et les exigences d’un excédent primaire pour 2015 seront revues à la baisse.

(3) Surtout, chacun des acteurs a « acheté du temps » plutôt que remporté une victoire ou une défaite irréversible. En effet, dans quatre mois, les deux logiques mentionnées plus haut risquent bien de rentrer à nouveau en collision. Or, tout le monde avait besoin d’une trêve de quelques semaines (dont il faudra déjà voir si elle tient jusqu’à la fin de la semaine, Athènes devant présenter son programme d’action mardi).

Les dirigeants de la zone euro souhaitaient en effet ce répit. Ils ont d’ailleurs pris l’habitude, depuis la crise, de repousser sans cesse la résolution des contradictions de l’UEM. Ces compromis imparfaits ne renvoient pas tant à un caractère vélléitaire des élites européennes qu’à une erreur de diagnostic profonde sur les maux de la zone euro.

Le gouvernement grec, plus encore, avait un besoin vital de cette trêve. Il a en effet entamé les négociations avec pour perspective une éventuelle panique bancaire en cas d’échec ; pour appui une opinion solidaire, mais toujours acquise à la monnaie unique ; pour interlocuteur un Eurogroupe dont aucun des membres n’a véritablement appuyé sa cause ; et pour instrument une administration pas forcément favorable, dont il est à la tête depuis un mois à peine. Dans ces conditions, il y a beau jeu de se gausser de « l’impréparation » de Syriza et de se scandaliser de « l’arrogance » de son ministre des Finances, qui n’a pas eu la décence de respecter l’étiquette des réunions européennes. Cela revient un peu à exiger d’un nouveau venu et déjà pestiféré de la cour d’école qu’il se rallie sa classe en quelques jours, tout en lui imposant une nouvelle façon de jouer à la récréation.
Pourquoi l’Allemagne a provisoirement pris le dessus (...)

Ce que ces événements révèlent de la zone euro

De façon plus essentielle, ce diagnostic oblige à reconnaître qu’une politique alternative dans le cadre de la zone euro est devenue quasi impossible, du moins pour les Etats périphériques de cet ensemble. C’est ce que n’ont pas manqué de relever des responsables de l’aile gauche de Syriza, comme Stathis Kouvélakis.

Certains des obstacles dressés devant les espoirs d’un « bon euro » sont déjà connus. Il s’agit de la difficulté de modifier les traités dès lors que l’unanimité des 28 Etats membres est requise, du poids grandissant acquis par les institutions communautaires indépendantes dans le système européen, de la domination allemande dans le rapport de force économique et politique à l’intérieur de l’eurozone.

Mais le bras de fer engagé par Syriza a aussi illustré que le cadre des négociations lui-même pousse à des compromis insatisfaisant et peu durables. (...)

A cette crise de désindustrialisation et à cet endettement insoutenable, les autorités européennes ont répondu par des politiques d’austérité et des « réformes structurelles ». Comme si, au-delà du caractère pro-cyclique de ces mesures tant de fois dénoncé, on pouvait créer des usines en se contentant d’abaisser le coût du travail et de diminuer la dépense publique ! Sans politique de monnaie faible, sans soutien actif de l’Etat aux entreprises pour l’innovation et la recherche, de tels remèdes aboutissent forcément à une chute de l’investissement et de la productivité.

La Grèce est donc la pointe avancée de la décomposition d’une union monétaire insoutenable dans son architecture actuelle, que les acteurs les plus puissants sont pourtant décidés à conserver, puisqu’elle sert jusqu’à présent leurs intérêts. Du temps est sans cesse acheté, mais en imposant des politiques économiques poussant dangereusement à la déflation. Ce n’est que dans les prochains mois que nous saurons si Syriza se conformera à cette logique, ou s’il finira par s’y dérober.