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Flambée de faits divers dans les JT depuis dix ans
Article mis en ligne le 17 octobre 2013
dernière modification le 14 octobre 2013

En juin dernier, l’Institut national de l’audiovisuel (INA) révélait dans son « baromètre thématique des JT » qu’entre 2003 et 2013, le nombre de sujets consacrés chaque année aux faits divers dans les journaux télévisés des grandes chaînes généralistes [1] avait connu une augmentation de 73 %.

Alors qu’ils représentaient 3,6% de l’offre globale d’information (1191 sujets) en 2003, les faits divers « pèsent » aujourd’hui 6,1% de cette offre (2062 sujets). Ce qui signifie plus concrètement qu’en moyenne, le nombre de faits divers traités chaque jour dans les JT, toutes chaînes confondues, est passé de 3 à 5. Encore ces chiffres ne donnent-ils aucune information sur la place qui leur est accordée dans les sommaires des JT et la hiérarchie de l’information, sur la durée qui leur est consacrée et sur les modalités de leur traitement.

Quoi qu’il en soit ce résultat chiffré correspond à ce que tout spectateur plus ou moins régulier du JT pouvait mesurer spontanément, et n’en demeure pas moins spectaculaire. D’ailleurs, la plupart des médias ne s’y sont pas trompés, relayant abondamment l’information comme… un fait divers (ainsi que nous l’avions relevé ici même pour les exemples les plus probants) ! Aucune tentative notable d’explication, aucune réflexion sur le sens à donner à cette évolution, aucun débat sur son bien fondé. Un silence d’autant plus surprenant que les journalistes, si prompts à revendiquer une mission démocratique, ne se privent jamais de passer au crible les pratiques des autres professions. Pourtant, il va sans dire que cette inflexion (dérive ?) éditoriale du principal canal d’information du plus grand nombre, recouvre des enjeux cruciaux. (...)

Ce sont, comme le soulignait Pierre Bourdieu, des « faits omnibus », c’est-à-dire des « des faits pour tout le monde ». Ce sont, du moins pour nombre d’entre eux, des faits « qui ne divisent pas, qui font le consensus ». Comment, en effet, les publics pourraient-ils se partager entre les « pour » et les « contre », face à un grave accident ferroviaire (comme celui de Brétigny en cet été 2013), un braquage de banque (surtout s’il est filmé en vidéo…) ou le meurtre d’une enfant (comme la petite Fiona) ? À ce titre au moins, « les faits divers sont aussi des faits qui font diversion ». (...)

les faits divers demeurent très en retrait par rapport aux sujets de société, à l’information internationale, ou aux rubriques politique et économie. Ce qui est en cause, ce sont donc la place qui leur est donnée, l’importance qui leur est accordée et leur mode de traitement. (...)

Pierre Bourdieu, partant du constat que « le temps est une denrée extrêmement rare à la télévision », ajoute que « si l’on emploie des minutes si précieuses pour dire des choses si futiles, c’est que ces choses si futiles sont en fait très importantes dans la mesure où elles cachent des choses précieuses. […] Or en mettant l’accent sur les faits divers, en remplissant ce temps rare avec du vide, du rien ou du presque rien, on écarte les informations pertinentes que devrait posséder le citoyen pour exercer ses droits démocratiques. » [2] (...)

Leur mode de traitement et la place croissante qu’occupent les faits divers ne sauraient satisfaire celles et ceux pour qui l’information, en particulier politique, est un droit autant qu’un devoir du citoyen éclairé. Mais ce rapport à l’actualité et cet usage de l’information ne sont sans doute pas majoritaires… et ne le deviendront pas si l’on ne fait rien pour cela.

Encore faudrait-il qu’au mépris social latent des fournisseurs en gros de faits divers qui font diversion, ne réponde pas le mépris social dont une prétendue avant-garde cultivée et politisée accable les publics populaires de la télévision. (...)