
Nous avons en commun le fait d’avoir été blessés et mutilés par la police française après avoir reçu un tir de flashball en pleine tête. Etre touché par une de ces armes, c’est s’effondrer, être évacué, hospitalisé et subir par la suite un nombre considérable d’interventions chirurgicales lourdes qui s’étendent sur plusieurs mois. Les lésions sont nombreuses et irréversibles : œil crevé, décollement de la rétine, enfoncement du plancher orbital, multiples fractures, dents cassées, joue arrachée, etc. Pour plusieurs d’entre nous, l’implant d’une prothèse a été nécessaire. Sans parler des migraines, des cauchemars et de la peur chevillée au corps. A Marseille, un homme, Mostefa Ziani, est mort d’un arrêt cardiaque après avoir été touché en plein thorax. Le flashball peut donc tuer à bout portant et il produit des dommages qui ne sont en rien des accidents. Les mêmes causes entraînant les mêmes effets, équiper la police avec ces armes, c’est lui reconnaître le droit de mutiler. Ce qu’elle a bien compris.
(...) S’il n’existe aucune réparation possible, il est difficile de laisser le terrain libre à la violence policière. Plusieurs d’entre nous ont porté plainte contre l’auteur du tir. Sans succès. A Nantes, le policier qui a tiré sur Pierre Douillard en 2007 et dont l’identité est clairement établie bénéficie d’une relaxe : sa responsabilité ne peut être engagée puisqu’il a obéi à un ordre. A Toulouse par contre, pour Joan Celsis, blessé en 2009, le juge ordonne un non-lieu au motif cette fois que l’identité du tireur n’est pas établie. A Montreuil, pour Joachim Gatti, le procureur bloque le dossier depuis maintenant deux ans. Sans surprise, la justice couvre la police. Il y a belle lurette en effet que l’action de la police s’est affranchie du droit. Pour le flashball, les distances de sécurité et les zones autorisées ne sont jamais respectées, pas plus que le tir ne correspond à un état de légitime défense comme le prescrit pourtant la réglementation officielle.
Face aux limites du pénal, nous nous sommes lancés dans une nouvelle procédure. Clément Alexandre, le collectif Face aux armes de la police et leur avocat, Etienne Noel, ont déposé en octobre 2012 une requête au Tribunal administratif qui consiste à attaquer directement la responsabilité du préfet de police et plus seulement le policier qui tire en pleine tête, même si celui-ci mérite tout notre mépris. Pour la première fois, l’Etat a été condamné mercredi, le 18 décembre, à verser une indemnité et sa responsabilité est reconnue, tout comme le lien entre la blessure et le flash-ball. D’autres jugements sont attendus. Nous pensons que sur le terrain juridique, il est capital de multiplier ce type de riposte. (...)
Ce que la langue policière appelle littéralement « neutraliser une menace » désigne de toute évidence la nature réelle du flashball : écraser et faire taire ce qui échappe au pouvoir. C’est là le travail normal de la police. Mais ce qui est nouveau, c’est la méthode utilisée. Le flashball est le nom d’un nouveau dispositif politique qui repose sur la peur et la mutilation – en un mot la terreur. Il s’agit cette fois de frapper les corps mais aussi les cœurs et les esprits en nous marquant dans notre chair et dans celles de nos amis. Présenté comme défensif, le flashball est clairement une arme offensive qui donne à nouveau à la police le pouvoir de tirer sur la foule. Le déploiement de la violence policière, en l’état actuel du rapport de force, ne doit pas entraîner la mort. Mais la police doit être assurée de rester la plus forte pour que l’ordre soit maintenu.
Cette militarisation des opérations de police exprime la vérité d’une époque (...)
C’est parce que nous demeurons attachés à nos luttes et à nos amitiés que nous ne nous laisserons pas terroriser par le flashball. Là où nous sommes attaqués, il y a à riposter collectivement pour être capable de penser et de contrer les pratiques policières. Et ça, on ne le fait pas dans l’enceinte d’un tribunal, mais on l’élabore avec tous ceux qui les subissent. Ici, comme ailleurs, ce qui relève du possible dépend d’un rapport de force. Nous lançons un appel à toutes les personnes blessées avec la certitude que nous avons plus à partager que nos blessures.