
Qui, dans l’espace médiatique, pourrait être à la fois spécialiste du Conseil constitutionnel, des nationalistes corses, de la justice japonaise, des radars vandalisés, du « Grand débat », de l’écriture inclusive, de l’ISF, de la réforme des lycées, de Viktor Orbán, des élections municipales parisiennes, des gilets jaunes, du harcèlement en ligne, de la mortalité routière, de Benalla, des débats européens, du hijab de Décathlon, de la France rurale, de Juppé, de l’antisémitisme, des fonctionnaires et de la politique italienne ? Réponse : à peu près tous les éditorialistes [1]. Et ça tombe plutôt bien, puisque c’est en tant que telle que Gabrielle Cluzel, rédactrice en chef de « Boulevard Voltaire », est très régulièrement invitée sur CNews et LCI depuis le 1er février. Trois émissions en particulier, « L’heure de Bachelot » (LCI), « Les Voix de l’info » et « Punchline » (CNews) contribuent ainsi à la légitimation et à la promotion médiatique d’un nouveau visage de l’éditocratie, tout droit issu des milieux d’extrême-droite sur internet – de la « fachosphère ».
Quarante-trois. C’est le nombre d’émissions auxquelles a été conviée Gabrielle Cluzel, sollicitée à la fois par CNews et LCI, depuis le 1er février, soit en moyenne un jour sur deux [2]. Gabrielle Cluzel reçoit principalement les faveurs de Laurence Ferrari, qui anime « Punchline » sur CNews, mais également celles de Sonia Mabrouk (« Les Voix de l’info », CNews) et de Roselyne Bachelot (« L’heure de Bachelot, LCI). Jean-Michel Aphatie, qui remplace l’ancienne ministre sarkozyste sur certaines émissions de la matinale, l’a reçue en plateau à deux reprises, les 19 et 25 février. Elle a également siégé une fois sur le plateau de David Pujadas, le 14 février [3]. (...)
« Boulevard Voltaire », dont Gabrielle Cluzel est la rédactrice en chef, a été conjointement créé par Robert Ménard et Dominique Jamet en 2012. Le site a eu pour rédactrice en chef Emmanuelle Ménard qui, devenue députée en juin 2017 avec le soutien du Front national, a cédé sa place à Gabrielle Cluzel. Un petit tour sur le site, dont les dossiers vont de « Immigration » à « Christianophobie » en passant par « Racisme anti-blanc » et « Migrants et la délinquance », suffit à donner la tonalité des thématiques qui intéressent les rédacteurs. Certains d’entre eux n’hésitent pas à promouvoir ouvertement la théorie du « grand remplacement », sans oublier le temps béni des colonies, vanté par… Gabrielle Cluzel. (...)
Régulièrement épinglé pour ses incitations à la haine, le site a vu chuter son capital publicitaire à la suite d’une campagne sur les réseaux sociaux menée par le collectif « Sleeping Giants », qui affirmait le 16 avril que « 915 annonceurs alertés ont décidé de le retirer de leur plan média » [5]. Vitrine pour de nombreuses personnalités d’extrême-droite (Jean-Yves Le Gallou, Alain Soral, Renaud Camus, etc.), promoteur de fausses nouvelles [6], adepte de la « réinformation » et de la critique des médias d’extrême-droite [7] : voilà qui valait bien une invitation de sa rédactrice en chef au moins une fois tous les deux jours dans deux grandes chaînes d’information en continu !
En octroyant ainsi à Gabrielle Cluzel un rond de serviette sur des plateaux de « débat » aux côtés d’autres éditorialistes et invités politiques, CNews et LCI contribuent à légitimer pleinement le site d’extrême-droite dans le champ médiatique. Un site qui n’est d’ailleurs jamais présenté aux téléspectateurs par les animateurs, pas plus que sa rédactrice en chef n’est située dans le champ politique. Bien prompts à jeter l’opprobre sur des journalistes ou des chercheurs sympathisants ou militants de la gauche radicale, les présentateurs sont en revanche muets quant aux orientations du site que dirige Gabrielle Cluzel, introduite et désormais tolérée comme membre de l’éditocratie légitime. (...)
Le 30 mai 2018, Pascal Praud reçevait sur CNews André Bercoff qui diffusait une théorie du complot concernant le sauvetage d’un bébé par Mamoudou Gassama, à Paris. Les décodeurs décodaient. Six mois plus tard, Samuel Gontier relève qu’André Bercoff « a table ouverte tous les jours sur LCI, chez Arlette Chabot comme chez David Pujadas ». Rebelote début mars, où les éditorialistes de « 24h Pujadas » dévoilent d’un regard entendu un complot issu de l’axe « France Insoumise – Bachelet – Venezuela » au sujet des déclarations de la Haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme. Suite à l’attentat de Christchurch, David Pujadas ouvre son micro à Robert Ménard, adorateur du « grand remplacement », tandis que les décodeurs décodent, encore et toujours. Énième récidive il y a quelques jours, quand David Pujadas réagit aux propos… d’André Bercoff, qui relaye (à nouveau) des fake-news d’extrême-droite concernant l’incendie de Notre-Dame de Paris : « Ce que vous nous décrivez mène tout droit à l’hypothèse de quelqu’un qui aurait cherché à ce que l’incendie se développe. » [8] Et les décodeurs continuent de décoder. (...)