
Sur la seule foi d’un courrier de Didier Lallement, et sans mener d’enquête, le parquet de Paris a classé sans suite la plainte déposée par 26 manifestants contre la loi Sécurité globale arrêtés le 12 décembre 2020. Ils dénonçaient le caractère « arbitraire » de leurs gardes à vue.
Le 12 décembre 2020, à Paris, une manifestation déclarée contre la loi Sécurité globale tourne à la démonstration de force policière. En cette troisième journée de mobilisation, 3 000 policiers et gendarmes encadrent 5 000 participants, soumis à des fouilles préalables et confrontés à de nombreuses charges dans le cortège, comme l’a montré Mediapart dans une enquête vidéo.
Au total, 124 personnes sont placées en garde à vue. Un mois plus tard, 26 d’entre elles déposaient une plainte collective, auprès du parquet de Paris, pour « atteinte arbitraire à la liberté individuelle par personnes dépositaires de l’autorité publique » et « entrave à la liberté de manifester ».
Dans leur plainte, ces manifestants âgés de 16 à 54 ans dénoncent des arrestations réalisées au hasard, lors de « bonds offensifs » violents et répétés des forces de l’ordre. Ils estiment que leurs gardes à vue ont été justifiées a posteriori, par de faux prétextes. Tous les plaignants ont été relâchés avec un classement sans suite ou un rappel à la loi, signe que la justice n’a pas trouvé de quoi les poursuivre. (...)
Le parquet n’a jamais ouvert d’enquête sur les faits dénoncés, ni auditionné les plaignants pour connaître leur version. Il s’est contenté d’écrire en mars au préfet de police de Paris, Didier Lallement, pour lui demander la communication de « tout élément utile en rapport avec cette opération de maintien de l’ordre ».
Dans sa réponse adressée à Rémy Heitz, le 3 juin 2021, Didier Lallement estime que le dispositif mis en place a « prouvé son efficacité ». (...)
Le préfet de police dresse un sombre tableau de la manifestation, dans laquelle se trouvaient des « personnes cagoulées et vêtues de noir, faisant parfois bloc derrière des banderoles ou entonnant des chants hostiles ». Les « drapeaux jaunes » et autres « parapluies multicolores » présents dans le cortège sont interprétés comme autant de « points de ralliement » possibles pour se livrer à des violences.
Didier Lallement explique ainsi qu’au cours de l’après-midi se sont produits « plusieurs feux de poubelles ou de scooter », ainsi que des « jets de projectiles divers et d’ammoniac ». Il omet toutefois de préciser que l’incendie du scooter en question, « première dégradation » identifiée par Mediapart dans son enquête vidéo, est survenu après 20 charges de police. Notre enquête en a dénombré 32 au total, pour la plupart sans raison apparente. (...)
Au contraire, le préfet de police affirme que les forces de l’ordre n’ont fait que répondre à des agressions (...)
Hostilité des manifestants, antécédents de violence, constitution de groupes dangereux, usage mesuré de la force… Chacun des éléments de langage fournis par la préfecture de police de Paris est dûment repris par le procureur Rémy Heitz. Dans son avis de classement sans suite, le magistrat estime que la police se heurtait à un « contexte particulier » et disposait de « choix opérationnels limités ». Sans entendre les arguments des plaignants sur le déroulement de cet après-midi, il tranche en faveur de la version policière. (...)
Neuf des vingt-six plaignants avaient témoigné en janvier auprès de Mediapart. Johanna, 25 ans, affirmait avoir été « frappée au sol » lors de son interpellation, avant d’être amenée en cellule, où elle a souffert de migraines et de nausées. À l’hôpital, on lui a diagnostiqué un traumatisme crânien et thoracique. Vanessa, « gilet jaune » de 38 ans originaire de Maubeuge, s’étonnait d’une charge aussi soudaine (...)
Face à ce classement sans suite, les plaignants envisagent de déposer un recours hiérarchique auprès du procureur général de Paris... c’est-à-dire Rémy Heitz.
« Nous regrettons qu’il n’y ait eu strictement aucun acte d’enquête », explique Raphaël Kempf, un de leurs avocats. (...)
De leur côté, 16 autres manifestants présents ce jour-là et assistés par l’avocat Arié Alimi ont également déposé plainte en janvier 2021, en visant explicitement la responsabilité de Didier Lallement.
Outre « l’entrave à la liberté de manifestation », ces plaignants dénonçaient des faits de « violences volontaires en réunion par personne dépositaire de l’autorité publique » et complicité de « faux en écriture publique », de « dénonciation calomnieuse », de « mesures destinées à faire échec à l’exécution de la loi » et de fichage illégal, via l’utilisation des drones, malgré une décision du Conseil d’État.
À la différence de la première plainte évoquée, celle-ci concerne aussi des personnes ayant été poursuivies mais qui contestent les faits reprochés. Plusieurs de ces manifestants ont été entendus par l’IGPN début septembre. L’enquête se poursuit.