
La dégradation des conditions de vie sur Terre est rapide et inquiétante mais George Monbiot, dans cet entretien, refuse de céder au fatalisme. Selon lui, la reprise en main de notre destin passe par l’implication politique des citoyens, notamment à l’échelle locale, où s’écrivent les histoires du changement.
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George Monbiot — Il faut se sortir de la tête l’idée qu’on sauvera la planète en achetant des baskets en coton biologique. C’est tout simplement faux. On nous bassine avec cette idée selon laquelle on peut voter avec son porte-monnaie. Mais c’est une illusion de croire que votre ticket de caisse peut être un moteur du changement décisif. Aussi bien intentionnée soit la consommation éthique, celle-ci ne sera jamais la recette pour une transformation en profondeur. Voilà pourquoi on a besoin du groupe. (...)
Je sais que certaines personnes sont frileuses par rapport à l’idée de communauté. Dans les milieux progressistes de gauche, en particulier, on réagit en général de façon assez réservée à l’idée que la géographie soit à l’origine d’un sentiment d’appartenance, parce que cette idée charrie un parfum de chauvinisme et d’exclusion. Mais ce n’est pas une fatalité. On peut très bien concevoir une communauté large, conviviale, à la fois cosmopolite et généreuse. Se sentir de quelque part est tellement essentiel pour la vie des gens, pour leur santé physique et mentale… C’est selon moi le socle de toute action politique pleine de sens. Parce que la plupart des citoyens auront confiance dans des acteurs politiques qui sont proches d’eux, qui partagent leurs soucis et leurs indignations. (...)
Cette résistance à petite échelle, ce fourmillement d’alternatives locales, c’est un point de départ très important, le socle de base d’une culture de participation, cela entretient la vitalité des communautés. Mais cela ne suffit pas, loin de là. Pour faire la différence, il faut traduire ces initiatives en une réelle politique de participation. Un cas d’école est celui de la capitale islandaise, Reykjavik. Là-bas, la ville est réellement administrée par les citoyens. Ils peuvent introduire des propositions, ou voter pour les idées émises par d’autres habitants ; le conseil communal est obligé d’examiner ces idées et ces propositions. Dès lors, le pouvoir municipal est un pouvoir partagé. On pourrait penser que les mandataires politiques y voient une atteinte à leurs prérogatives, mais beaucoup vivent ce processus comme une libération. Enfin, ce ne sont plus toujours eux qui doivent, seuls, amener les idées et prendre les décisions !
Partager le pouvoir signifie en effet partager la responsabilité, et partager les reproches si le résultat n’est pas à la hauteur des attentes. Si un projet tourne à l’échec, on peut dire : les habitants le voulaient, ça a foiré, mais nous avons essayé ensemble (...)
les budgets citoyens — ou budgets participatifs — sont incontournables. On ne peut véritablement parler de participation que si les citoyens ont la possibilité d’exercer un contrôle direct sur l’utilisation de l’argent public. C’est l’exemple classique de la ville de Porto Alegre, au Brésil, où les habitants participent aux budgets sur l’infrastructure et le transport public. Grâce à ça, les habitants acquièrent une tout autre perception du mécanisme et de l’utilité des impôts. Ils découvrent à quoi sert l’argent public, ils réalisent que beaucoup plus de choses sont possibles quand l’argent est regroupé dans un budget municipal plutôt qu’investi de manière individuelle.
Après la première année d’expérimentation, les citoyens de Porto Alegre ont décidé ce que tout leader politique traditionnel considérerait comme un suicide politique : ils ont proposé une augmentation des impôts ! Je pense que si les citoyens de tous les pays pouvaient eux-mêmes décider de la destination de leurs impôts au niveau local et même national, le visage de la politique serait partout modifié en profondeur. (...)
Comment allons-nous faire en sorte que la majorité des citoyens obtienne un réel pouvoir économique ? Comment détrôner l’oligarchie ? Prenez le problème de la propriété foncière. En Grande-Bretagne et dans de nombreux autres pays d’Europe, une toute petite portion de la population possède de grandes étendues du territoire. À l’inverse, une grande part de la population consacre une part invraisemblable de ses revenus à la location d’un logement ou au remboursement d’un emprunt. Si l’inégalité de revenus est grave, je suis convaincu que l’inégalité immobilière est au moins aussi grave. (...)
Plus l’échelle est grande, plus la démocratie devient diffuse et plus grande est aussi la sensation d’éloignement par rapport au processus de décision. Des institutions mondiales ne seront jamais parfaites. Toutefois, je suis convaincu que nous pouvons améliorer la manière dont fonctionnent aujourd’hui le Conseil de sécurité de l’ONU, le Fonds monétaire international, la Banque mondiale, les différentes zones de libre-échange, ou encore la Banque centrale européenne.
Quand on réfléchit à la façon de donner un effet national à une multitude d’initiatives locales, il y a beaucoup à apprendre ce que Bernie Sanders, figure de proue de l’aile gauche du Parti démocrate aux États-Unis, appelle le « big organizing ». C’est une méthode qui ne dépend pas des pouvoirs financiers et qui considère en outre la volonté humaine comme centrale dans le processus de changement. (...)
Je répète depuis trente ans déjà que nous n’avons plus le temps de tergiverser, qu’il est urgent d’agir. Cela ne se passe pas, car nous nous heurtons toujours à des personnes dont les intérêts économiques sont inextricablement liés aux énergies fossiles. Ces personnes-là préfèrent un monde en ruines plutôt qu’un changement de trajectoire. Voilà pourquoi nous n’arriverons à rien tant que nous ne changerons pas de modèle. Le système doit être changé radicalement, et ce n’est possible que par la voie politique. Se concentrer exclusivement sur la question climatique, ça ne mène qu’à des mesures à la marge. Si nous voulons protéger efficacement notre environnement naturel, nous devons nous attaquer à la politique et à l’économie. Ce changement commence au niveau local. Et quand je regarde ce qui bouge dans nos quartiers et dans nos villes, quand je vois ce bout de nature qu’on a réussi à préserver en plein cœur d’Oxford, alors je ne peux qu’être plein d’espoir. (...)
Le changement climatique exige une réponse structurelle, et celle-ci ne peut venir que de la politique. Si vous racontez aux gens qu’ils peuvent voter avec leur portefeuille, qu’ils peuvent exercer une influence en mettant tel produit plutôt que tel autre dans leur caddie au supermarché, vous leur faites miroiter un pouvoir qu’en réalité ils ne détiennent pas (...)
Je ne dis pas que les consommateurs ne peuvent pas essayer d’adapter leur comportement d’achat, mais la véritable réponse ne pourra venir que des autorités publiques (...)
Nous devons à présent échafauder un plan crédible qui indique comment nous pouvons changer notre relation à la société, à la politique, à l’économie et à la nature.
C’est très facile de devenir cynique et de décrire la politique comme dénuée de sens. Parfois, c’est même mieux pour votre santé mentale. Mais ça ne mène nulle part (...)
Si nous tournons le dos à la démocratie que nous avons construite — et qui est loin d’être parfaite — alors les fascistes l’emporteront. La menace est là, partout en Europe, en Amérique latine, en Asie et aux États-Unis.