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Gérard Miller : "L’emballement médiatique renvoie à certains de nos symptômes les plus archaïques"
Article mis en ligne le 15 octobre 2019
dernière modification le 14 octobre 2019

Gérard Miller, psychanalyste et éditorialiste, revient pour le JDD sur l’affaire Xavier Dupont de Ligonnès et l’emballement médiatique qui a suivi cette "vraie-fausse" arrestation.

Avec l’affaire du vrai-faux ­Dupont de Ligonnès, tout le monde semble d’accord : il faut s’inquiéter de cette frénésie qui saisit désormais de grands médias ayant pignon sur rue et les conduit à la divulgation précipitée de nouvelles erronées, comme si la raison avait cessé de guider leurs pas, cédant ­mystérieusement les commandes à on ne sait quel mauvais génie. Sans mettre en doute la sincérité de cette prise de conscience, on peut tenter d’éclairer le pourquoi de cette contagion de l’inexactitude ou plutôt du mensonge, car, indépendamment de la bonne ou de la mauvaise foi des locuteurs, c’est bien comme des mensonges que notre inconscient enregistre ces fausses nouvelles.
La parole mensongère "champignonne"

Térence, le célèbre poète latin, avait l’habitude de dire qu’un mensonge en entraîne toujours un autre. Il pensait bien sûr à toutes les fables que le menteur doit ­continuer de fabriquer pour que sa première affabulation ne soit pas démasquée. Mais, ce ­faisant, il mettait en évidence une propriété étrange qu’a la parole mensongère, notamment dans le lien social, celle de "­champignonner", de ­proliférer un peu partout à partir du moment où ceux qui sont ­supposés être les garants de la vérité se risquent eux-mêmes à systématiquement mentir. Ceux qui nous dirigent et, même quand on les combat, jouent pour nous tous un rôle de liant, quand leur parole est discréditée la société se fragilise et en vient à croire les sirènes les plus insensées. (...)

Sans vouloir jeter la pierre à notre actuel ministre de l’Intérieur plus qu’il ne mérite de la recevoir, je suis par exemple convaincu que ses nombreuses saillies ­erronées ont eu un effet délétère sur le ­rapport que nous entretenons avec la vérité dans le champ ­médiatique. Que celui qu’on suppose être l’homme le mieux informé de France puisse à de si nombreuses occasions ­fabuler plus vite que son ombre et nous tromper tous autant que nous sommes a inévitablement généré dans le pays une angoisse dont on aurait tort de sous-estimer ­l’importance, ses craques portant précisément sur des sujets très ­anxiogènes : la violence (la ­prétendue charge de manifestants contre l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière), l’intoxication (l’incendie de Rouen), la mort (les meurtres à la ­préfecture de police). (...)

Dès son plus jeune âge, l’enfant témoigne d’une curiosité et d’une envie de comprendre absolument insatiables.

Il veut connaître la vérité, la vérité vraie, avoir des réponses exactes sur tout ce qui l’intrigue, sur tout ce qui l’inquiète, et il se tourne vers ceux qu’il voit comme des sujets supposés savoir, les parents, les adultes. A ses pourquoi, ceux-ci répondent tant bien que mal, mais dans tous les cas ­l’enfant reste sur sa faim, avec le sentiment de n’avoir jamais le fin mot de l’histoire. Ce qu’il découvre, c’est que sa pulsion de savoir se brise sur ce réel qu’il aimerait ­maîtriser (la mort d’un être aimé, par exemple) et, devant l’impuissance des adultes à le rassurer par leurs réponses, il s’invente des histoires, des mythes, pour ne pas rester seul face au réel qui l’angoisse. (...)

Ai-je besoin de convaincre ­quiconque que le réel, ces temps-ci, nous inquiète autant que quand nous étions enfants ? Et comme il n’y a personne qui puisse ­prononcer les paroles apaisantes qui nous en protégeraient, les médias ont le champ libre ! (...)