Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Acrimed
Gilets jaunes : BFM-TV et CNews préparent le « siège » de Paris
Article mis en ligne le 19 décembre 2018

Dans le traitement médiatique de la mobilisation des gilets jaunes, la journée de manifestations du 8 décembre a constitué un cas exemplaire. La communication alarmiste du gouvernement, annonçant des manifestants venant sur Paris « pour casser et pour tuer », a été largement diffusée en amont de la manifestation dans les grands médias. Au lieu de faire preuve d’un minimum de distance critique vis-à-vis de ces éléments de langage parfois outranciers, certains médias ont contribué à leur donner crédit et participé à la construction, avec les autorités, d’un récit médiatique anxiogène venant légitimer par avance un dispositif de répression sans précédent. Un journalisme aux ordres qui était tout particulièrement à l’œuvre dans les émissions programmées la veille de la manifestation sur CNews et BFM-TV.

Le soir du vendredi 7 décembre, c’est la veillée d’armes sur les chaînes d’information en continu. Sur CNews comme sur BFM-TV, la journée « à haut risque » du lendemain fait la Une des différentes émissions. Il faut dire que, tout au long de la semaine depuis le lundi 3 décembre, le gouvernement n’a cessé de faire monter la pression. Dès le mercredi, l’Elysée annonçait ainsi « redouter une très grande violence » pour l’« Acte IV » du mouvement des gilets jaunes, avec un noyau dur de manifestants qui viendraient « pour casser et pour tuer ». Le jeudi, une source élyséenne dénonçait carrément la possibilité d’« une tentative putschiste » [1].

Les ministres quadrillent les médias pour annoncer, à l’unisson, le chaos à venir. (...)

Pendant cette semaine, certains médias, non contents de relayer la communication du gouvernement et des forces de l’ordre, ont fait preuve d’un certain suivisme vis-à-vis de celle-ci. On pourrait multiplier les exemples (...)

c’est sur les chaînes d’information en continu que le suivisme médiatique à l’égard de la communication des autorités est le plus flagrant (...)

La parole est toutefois donnée brièvement, à travers une interview, à une gilet jaune. Les questions portent d’emblée et pour la plupart sur les violences anticipées du lendemain (« Est-ce que vous pensez que ça va dégénérer et pourquoi ? » ; « jusqu’où peut aller la violence ? »). De retour en plateau, le journaliste Bruno Dive se montre sévère avec les réponses de l’interviewée (...)

Dans le droit fil de la communication officielle, on nous assure que la semaine précédente, « Paris a été mis à sac » et qu’il ne faut donc plus prévoir une « manifestation classique » mais bien craindre une « émeute ». Le recours aux blindés, commenté en long et en large, devient alors non seulement le symbole de la « mobilisation » des autorités, mais témoigne également de l’ampleur de la menace qui est anticipée. (...)

les journalistes et les invités en plateau ne se limitent pas à légitimer le dispositif matériel mis en place pour le lendemain. Ils s’emploient, pendant les deux heures que dure l’émission, à reprendre et à justifier ledit « changement de stratégie » des forces de l’ordre. D’abord en martelant que les policiers et les gendarmes suivront « le mot d’ordre [qui] est de faire un dispositif qui soit beaucoup plus mobile, beaucoup plus réactif ». Ensuite en présentant ce qui apparaît comme le résultat de cette mobilité accrue des forces de l’ordre : il s’agira le lendemain, nous explique Cécile Ollivier, « d’aller au contact, d’aller chercher, extraire les casseurs, les séparer du reste de la foule et de faire des interpellations. »

La journaliste s’appuie ainsi sur la communication gouvernementale pour annoncer et justifier le fait que « des interpellations massives sont à attendre ». De fait, les interpellations furent effectivement « massives » au cours de cet « Acte IV »… mais également contestées par des avocats, notamment pour leur caractère préventif et irrégulier. (...)

Aucun problème, nous dit-on, on peut tout à fait « prévenir plutôt que guérir ». Les personnes passées en comparution immédiate pour s’être « simplement rendues à la manifestation », et qui se sont retrouvées interdites de « paraître à Paris pendant un an » apprécieront le peu de cas qui est fait d’elles… (...)

Thomas Misrachi demande au général Bertrand Cavallier, présenté comme un ancien commandant du centre d’entraînement des forces de gendarmerie, de donner son avis sur le « changement de stratégie » des forces de l’ordre. Ce qu’il fait, en justifiant sans surprise les éléments annoncés par le gouvernement. Mais comme un bonheur n’arrive jamais seul, il assortit son commentaire de quelques conseils pour « les médias ». (...)

un conseil amical : médias, soyez aux ordres, on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs – ni visiblement de maintien de l’ordre sans casser « graduellement » quelques manifestants… Les représentants des forces de l’ordre, même parfois en uniforme, n’ont pas manqué sur les plateaux de télé ces dernières semaines. Mais cette intervention expose bien la force prescriptive du discours suscité et nourri par le cadrage de l’émission. Le général, en effet, annonce – et concède, d’une certaine manière – qu’il y aura des « prises d’image » sur les actions des forces de l’ordre, et dans le même temps il s’efforce d’en désamorcer par avance toute critique. Ou plutôt : il délégitime toute critique des agissements des forces de l’ordre qui prendrait appui sur ces images. (...)

Comme le note un commentateur sur le plateau même de BFM-TV, la communication alarmiste du gouvernement sur les manifestations prévues le 8 décembre a vocation à justifier par avance une répression d’ampleur, mais aussi à dissuader un maximum de manifestants de se rendre dans les manifestations. Or force est de constater que les chaînes d’information en continu, la veille de la manifestation du 8 décembre, ont largement joué le jeu des autorités. En remâchant les éléments de langage policier, en donnant du crédit aux outrances de la communication gouvernementale (comme lorsqu’elle évoque des manifestants venant pour « tuer »), elles ont contribué à construire, avec le gouvernement, un récit anxiogène autour des mobilisations. Et donné une belle démonstration d’un journalisme de maintien de l’ordre aux accents résolument policiers.