
Acte après acte, les manifestants sont confrontés à une justice sévère, expéditive et liberticide.
Ici, l’ambiance est feutrée. Pas de plaintes douloureuses arrachées par des LBD au bruit sourd. Pas de grenades assourdissantes sifflant aux tympans. Pas plus que de souffle nauséabond des palets de lacrymo. Ici, les avocats murmurent à l’oreille de leurs clients et les proches des prévenus écoutent les réquisitions du procureur en silence. Au palais de justice de Paris, face à un gilet jaune sous escorte policière, une magistrate rend son jugement : « Le tribunal vous condamne à trois mois de prison ferme. » (...)
Certaines paroles frappent, foudroient, enferment. Depuis l’acte 1 du mouvement, la lutte ne se cantonne pas à la rue. Elle se poursuit dans les tribunaux correctionnels, où 4 000 gilets jaunes (1) ont défilé devant les juges. Nul besoin d’être un « émeutier » : être « complice du pire » suffit. Du contestataire au délinquant, il n’y a qu’un pas.
« Nous vivons l’aboutissement d’un processus amorcé depuis les manifestations contre la loi travail », décrypte un policier de SUD Intérieur qui a souhaité garder l’anonymat. Le syndicaliste pointe la judiciarisation du maintien de l’ordre, qui se traduit par un nombre croissant d’interpellations. (...)
La préfecture de police a ordonné aux officiers de police judiciaire (OPJ) de placer systématiquement en garde à vue tout gilet jaune interpellé. Même sans charges suffisantes.
Cette politique répressive est parfaitement accordée – pour ne pas dire articulée – avec les instructions de Rémy Heitz, procureur de la République de Paris. Dans une note révélée le 30 janvier, par Le Canard enchaîné, le chef du parquet parisien intime à ses procureurs de prolonger les gardes à vue au moins jusqu’au samedi soir. La note datée du 12 janvier ne s’en cache pas : il faut éviter « que les intéressés ne grossissent les rangs des fauteurs de troubles ». Un dévoiement liberticide aux yeux de Laurence Roques, présidente du Syndicat des avocats de France (SAF) : « Rémy Heitz n’est pas préfet, il est procureur de la République. Il doit veiller au respect de la loi, pas faire du maintien de l’ordre ! »
Une autre pratique se généralise : les défèrements pour rappel à la loi. À l’issue de la garde à vue, au lieu d’être relâché ou jugé, l’intéressé se voit conduit au tribunal pour être présenté au procureur. Le magistrat ne sanctionne pas mais adresse un avertissement. (...)
Le choix de cette procédure accélérée n’est pas anodin. En moyenne, une affaire s’y traite en 29 minutes, selon une étude menée au tribunal de grande instance de Marseille (3). Six minutes reviendraient aux avocats pour défendre leurs clients. « Généralement pour tenter de prouver la volonté de ne pas participer à un groupement en vue de commettre des dégradations ou des violences », peste Laurence Roques. « C’est la preuve impossible, le choix de ce chef d’accusation nous met en difficulté », commente-t-elle. (...)