
Si j’ai bien compris, Le Grand Journal aime « les discours de vérité ». Je vais donc m’y essayer. Cela concerne une anecdote. Quelque chose qui, à l’échelle des fracas du monde, est absolument insignifiant. Mais qui, dans le même temps, peut être vu comme une démonstration tellement bavarde de ce que nous avons voulu — entre autre choses — raconter dans le livre Informer n’est pas un délit (Calmann-Lévy), un ouvrage que j’ai co-dirigé avec Paul Moreira et qui regroupe seize journalistes engagés contre les « nouvelles censures ». Une première en France.
Reprenons. Dans les tous premiers jours de septembre, la nouvelle production du Grand Journal me contacte ainsi que la maison d’édition Calmann-Lévy pour demander que Paul Moreira et moi réservions à l’émission phare de Canal+ notre première apparition télévisuelle à l’occasion de la sortie du livre. Et pas à C’est à vous, la concurrente de France 5.
La production paraissait alors si emballée par le concept de l’ouvrage et la liste des journalistes qui y ont participé (Elise Lucet, Denis Robert, Gérard Davet, Fabrice Lhomme, Benoît Collombat, Laurent Richard…) qu’elle me propose même de venir participer à une « émission pilote », c’est-à-dire à un enregistrement pour de faux avant le lancement officiel de l’émission, prévu pour le 7 septembre. « Et bien entendu, on vous invitera à nouveau pour le lancement du livre », nous était-il alors indiqué en substance.
Ce « pilote » était programmé pour le 4 septembre. Cela me faisait marrer de participer à ce genre d’émission Potemkine. Seulement voilà : afin que l’équipe du Grand Journal prépare au mieux notre entretien, Calmann-Lévy lui avait envoyé les épreuves d’Informer n’est pas un délit, qui comporte un chapitre rédigé par Benoît Collombat (France Inter) sur l’incroyable difficulté d’enquêter sur les affaires africaines de Vincent Bolloré.
Quelques heures avant le tournage du « pilote », j’apprends que, finalement, Le Grand Journal préfère un autre invité. Pas de souci : une émission est évidemment libre de choisir ses invités, a fortiori pour un faux enregistrement. Mais, m’assure-t-on alors ainsi qu’à la maison d’édition, pas d’inquiétude, Le Grand Journal (qui a toujours été très correct avec Mediapart sous Denisot et De Caunes, en dépit des saillies “aphatiennes”), réclame toujours l’exclusivité pour le lancement du livre.
En quelques jours seulement, le vent tourne. Le 9 septembre, la production, si allante la semaine d’avant, appelle, gênée aux entournures, la maison d’édition pour lui annoncer que, finalement, euh…, comment dire ?, en fait, eh bien, Le Grand Journal ne fera rien de rien sur le livre. Le même jour, à 12h23 précisément, j’envoie un SMS à la production : « Je viens d’apprendre pour le revirement du Grand Journal concernant le livre. Bienvenue dans le monde merveilleux de Bolloré… Courage ». Je reçois une minute plus tard une réponse sans ambiguïté : « Rien n’est simple, en effet… ». Je me suis permis de raconter cette anecdote à Télérama.
A ce jour, je ne sais pas s’il s’agit d’une censure ou d’une auto-censure, mais cela ne change rien au fond (...)