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Grèves, interpellations et licenciements Au lycée Victor Hugo de Marseille, au moins neuf personnels éducatifs qui dénoncent des propos racistes écartés
#ecolepublique #Marseille #syndicalisme #racisme
Article mis en ligne le 11 juillet 2023

En un an, au moins sept surveillants, une professeure et un CPE ont été écartés de leur poste au lycée Victor Hugo à Marseille. Leur point commun : tous sont syndiqués ou ont tenté de dénoncer « des dysfonctionnements ».

Sur le parvis du lycée Thiers, Myriam prend la parole sous les applaudissements de ses confrères assistants d’éducation (AED) :

« À Victor Hugo, on dénonce les dérives autoritaires de la direction, le sexisme et l’invisibilisation de notre lutte. »

La vingtenaire était surveillante l’année passée, 2021-2022, au lycée Victor Hugo situé à quelques pas, dans le quartier de la Belle-de-Mai, un des plus pauvres de France.. Comme deux autres, elle n’a pas été renouvelée pour des « manquements ». Ils dénoncent des représailles. « On a lancé l’alerte en faisant remonter les accusations d’élèves au sujet d’une professeure qui tenait des propos racistes », se lance Bassekou, collègue de Myriam également non renouvelé.

C’est de là qu’auraient commencé les tensions à Victor Hugo. Un rapport signé par plusieurs AED que StreetPress a pu consulter relate les propos attribués à une professeure et rapportés par des élèves : « Tu devrais faire femme de ménage », « blédards », ou encore « mon petit-fils est noir, ça m’a choquée ». L’ancienne proviseure en aurait alors parlé à la professeure, sans cacher les noms des AED signataires. À partir de ce moment, les choses dégénèrent avec la proviseure. « Ça se traduisait par des convocations informelles, par des mises à l’écart tout au long de l’année. On a fini par porter plainte pour harcèlement », explique Myriam. Lilia (1), une autre surveillante syndiquée commente :

« On n’attend pas d’un surveillant qu’il ait un réel rôle dans l’équipe pédagogique. Dès qu’on prend ce rôle-là, ça nous est reproché, ça devient un problème. »

Lorsqu’à la fin de l’année 2022, Myriam, Bassekou et Lisa tous trois syndiqués, apprennent qu’ils ne sont pas renouvelés pour « manquements », ils tombent des nues : « J’ai eu le soutien d’une trentaine de profs qui ont pris le risque d’attester devant la justice que je faisais un excellent travail auprès des élèves. » explique Myriam. (...)

Depuis, impossible pour Myriam et Bassekou de retrouver du travail à Marseille : « Les entretiens se passent souvent très bien avec les établissements, mais dès que ça remonte au rectorat, on ne nous embauche pas », croit savoir Myriam. Bassekou se pense également « blacklisté » par l’académie. « Nous avons lancé un litige au tribunal administratif », finit Myriam. (...)

Emmanuel Roux, surveillant à Victor Hugo depuis quatre ans et récemment licencié, porte sur ses épaules ses camarades pour accrocher aux grilles des fenêtres du prestigieux lycée Thiers, les draps qu’ils viennent de taguer : « Non au racisme, au sexisme et à la répression dans l’Éducation nationale », et « féministes antifascistes contre l’islamophobie ». Après une photo de groupe, le grand homme aux cheveux roux prend la parole : « J’ai fait 48 heures de garde à vue », commence celui qui est aussi secrétaire de l’union départementale de la CGT des Bouches-du-Rhône (UD-CGT). Le jeudi 1er juin 2023, plusieurs dizaines de militants de l’UD-CGT pénètrent le bureau du nouveau proviseur de Victor Hugo. Si la CGT revendique une action non-violente en soutien à Emmanuel Roux, le rectorat, lui, évoque une action avec « violences verbales et physiques ». Emmanuel Roux, présent aux abords du lycée, est interpellé sur-le-champ et placé en garde à vue. Bassekou et Maria seront aussi interpellés chez eux le lendemain matin. (...)

Le surveillant CGT serait dans le viseur de l’Académie, depuis qu’il « a fait remonter les propos d’élèves qui jugeaient le principal misogyne et islamophobe ». Une enquête de Mediapart a en effet révélé que le nouveau proviseur tenait des propos « scandaleux » à ses élèves de confession musulmane (...)

Des tensions qui s’inscrivent dans un contexte national particulier : à la rentrée 2022, le ministre de l’Éducation nationale Pap Ndiaye a lancé une circulaire sur le port de l’abaya au lycée. L’écrit stipule que désormais, « même s’il ne s’agit pas d’une tenue religieuse par nature, le port d’un vêtement peut revêtir un caractère religieux éventuel ». C’est aux surveillants à qui on demande de jauger si une robe longue est une abaya ou non, en « appréciant cette utilisation au regard du comportement de l’élève ». « À Victor Hugo, même des robes longues H&M posent problème », juge Bassekou, avant de déplorer : « Le vrai problème, c’est le fantasme de la montée de l’Islam en France. » Myriam renchérit : « Ce qui se cache derrière, c’est une répression syndicale au lycée, pour des faits de racisme avérés et de sexisme. » (...)

Depuis juin 2022, les départs s’enchaînent. Au moins cinq surveillants de Victor Hugo, dont deux grévistes, n’ont pas été renouvelés. Deux sont dans l’attente d’une décision. Emmanuel Roux, lui, a été mis à la porte et un autre AED attend sa notification officielle de licenciement. Il y a aussi le départ forcé de deux personnes qui font partie des plus anciens : un CPE qui exerce depuis 21 ans et une professeure documentaliste, présente depuis 17 ans. Tous deux, syndiqués (CGT et Sud) viennent d’être mutés. (...)

« Le lycée est devenu un terrain de lutte politico-syndicale », dénonce un enseignant dans un article du Monde. « Dans la salle des profs c’est le mur de Berlin », affirme un autre dans le Parisien. StreetPress a essayé de contacter ces professeurs qui soutiennent leur direction. Aucun n’a souhaité nous répondre. (...)

Malgré les dissensions et les neuf personnes écartées de leurs postes, la lutte continue à Victor Hugo. Des professeurs viennent de déposer un préavis de grève reconductible à partir du vendredi 1er septembre 2023. Pour Myriam non plus, pas question d’en rester là : « C’est une lutte qu’on mène depuis plus d’un an, ce ne sont pas des licenciements qui nous feront arrêter, au contraire. Malgré nos statuts précaires, on est en première ligne pour dénoncer le racisme et le sexisme dans les institutions. »