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Basta !
Guerre commerciale, élevages intensifs, génétique : les dessous de la grippe aviaire
Article mis en ligne le 1er février 2016

Dix ans après les premiers cas de grippe aviaire en France, le virus est de retour dans plusieurs élevages du Sud-Ouest. En dépit de l’absence de dangerosité pour l’être humain, le gouvernement veut imposer des mesures radicales y compris dans des départements où aucun foyer du virus n’a été identifié. Des centaines de petits producteurs risquent de mettre la clé sous la porte. Les intérêts industriels prendraient le pas sur les enjeux sanitaires, dénoncent-ils. Des producteurs fermiers et vétérinaires se mobilisent pour faire la lumière sur la responsabilité de la filière industrielle et des élevages intensifs dans la diffusion du virus.

(...) Derrière ces précautions sanitaires, se déroule une intense bataille économique entre petits éleveurs et industriels. Le gouvernement insiste ainsi sur la nécessité « de retrouver le plus rapidement possible le "statut indemne" de la France pour l’ensemble de la filière volaille ». Ce statut est la condition sine qua non pour exporter. « Quand il y a un cas d’influenza aviaire, le statut indemne tombe », observe Pierre Dufour, éleveur dans le Lot. De nombreux pays comme la Chine, le Japon ou l’Égypte ont ainsi décidé de suspendre leurs importations de volailles françaises suite à la découverte de foyers d’influenza aviaire en France.

« Les industriels de la filière ne veulent pas perdre leur part de marché à l’exportation, observe la Confédération paysanne de l’Aude. Ils font pression auprès du gouvernement pour mettre en place des mesures radicales. » C’est ce qui expliquerait selon ce syndicat l’élargissement de la zone concernée par les mesures à des départements où aucun foyer d’influenza aviaire n’a été détecté. Une manière de redonner confiance aux partenaires commerciaux, même si cela se fait au détriment d’élevages non contaminés par le virus.
« Chômage sec » pour les petits élevages

De retour d’une réunion au ministère, Benoit Liogé est désemparé. « Le secteur fermier représente peu de choses en poids financiers, alors on tente d’avancer des arguments en termes d’impacts économiques, sociaux, de vie locale, mais nous ne sommes pas entendus ». « L’accord de la profession », dont se targue le ministère concernant les mesures prises pour éradiquer le virus, semble surtout bénéficier aux grands groupes coopératifs et industriels exportateurs. Ceux-ci communiquent d’ores et déjà sur le fait qu’ils s’en sortiront bien grâce à leurs filières transnationales [6]. (...)

Que sait-on exactement de la manière dont s’est faite la propagation du virus ? « Tout le monde s’accorde pour dire que les oiseaux migrateurs n’ont rien à voir là-dedans », pointe Denis Fric, vétérinaire. « On ne nie pas la maladie, il y a des cas avérés, et il faut regarder là où il y a des problèmes », complète Pierre Dufour. « Si on veut arrêter immédiatement la diffusion du virus, il ne faut pas tuer les canards mais empêcher les transports de canards vivants », analyse Jean-Michel Berho, éleveur au Pays Basque, dans un entretien accordé à l’hebdomadaire du syndicat ELB. « Quand on suit un camion de canards prêts à gaver, il y a un nuage de lisier qui vole, c’est visible. Et il y a ce que l’on ne voit pas, les déjections qui sont aussi semées le long de la route », précise t-il.

Un autre éleveur confie à Basta ! avoir appris lors des réunions d’informations que des camions passaient d’un élevage industriel à l’autre sans nettoyer les caisses. C’est ce qui fait dire à la Confédération paysanne que « les élevages fermiers génèrent moins de mouvements donc moins de risques ». De nombreux producteurs fermiers, qui abattent et transforment les animaux sur leurs exploitations, demandent donc des dérogations pour ceux qui ne transportent pas les animaux vivants et ne risquent pas de diffuser les virus sur les routes.
Le manque de diversité génétique des volailles en cause

Les conditions d’élevage pourraient aussi être un terrain favorable à l’expression du virus. « Là où y a des fortes densités d’élevage, ça peut se diffuser très vite, précise Denis Fric. Si les animaux ont des types génétiques très forts, la porte est grande ouverte au virus ». Or, comme le montre notre enquête sur la reproduction animale, les animaux de ferme sont sélectionnés en fonction de critères productifs pour l’industrie, ce qui aboutit à une très forte érosion de la biodiversité animale. Ce manque de diversité génétique des animaux d’élevage pourrait favoriser l’apparition et la diffusion de microbes pathogènes. (...)

La question des mises aux normes fait aussi débat. Le gouvernement a annoncé des « mesures de biosécurité » qui pourraient se révéler inadaptées aux élevages en plein air. « On entend qu’il faudrait mettre le canard en confinement total », confie un éleveur ayant participé aux réunions avec l’administration. Le "nec plus ultra" de la biosécurité pour eux, ce serait l’absence de contact avec l’extérieur. C’est complètement contraire aux installations paysannes ». L’arrêté concernant ces normes de biosécurité devrait être rendu public la semaine prochaine.

Alors que l’élevage fermier en plein air est pointé du doigt dans les couloirs du ministère, des producteurs de la Confédération paysanne proposent de réaliser un état des lieux de l’étendue des contaminations. (...)

« L’enjeu immédiat c’est d’identifier l’origine de la maladie et mieux la connaitre, au lieu de sortir le bazooka comme le fait le gouvernement », plaide Josian Palach, secrétaire national de la Confédération paysanne. Une pétition, à l’initiative du Collectif « Les canards en colère », demande l’abrogation de l’arrêté du ministère de l’Agriculture qui impose l’arrêt total de la production de canards durant au moins cinq mois. Selon le collectif, soutenu par près de 5000 personnes, « c’est tout le tissu économique rural du Sud-Ouest qui va être réduit à l’état de cendre ».