
Kaddour Hadadi, né en 1976 à Roubaix, est un auteur-chanteur, ancien membre de Ministère des affaires populaires (MAP) et initiateur de HK et les Saltimbanks. Sa chanson « On lâche rien » est devenu un hymne des mouvements alternatifs.
(...) pour moi, il y avait quelque chose de clair dans ces événements. D’un côté, ces terroristes qui n’ont qu’un seul objectif : nous diviser du premier jusqu’au dernier. Et de l’autre côté, les fachos, les xénophobes. Ce sont les deux faces d’une même pièce : quand l’un prospère, l’autre progresse, et vice versa. Ce sont les meilleurs ennemis du monde. (...)
Au lendemain des attentats, on nous a dit, restez chez vous ! Avec quelques autres fous, on a appelé à se retrouver place de la République, avec un mot d’ordre : se retrouver, c’est ça l’urgence. Face aux forces qui nous poussaient à l’isolement, face à la logique sécuritaire et guerrière, on a voulu résister, à notre manière. Et c’est toujours vrai aujourd’hui.
Depuis un an, on n’entend que parler de guerre. C’est le leitmotiv du gouvernement : faire valoir la France comme un pays guerrier. Ses soldats, ses missiles, ses avions, ses Rafale… c’est ça, l’honneur de la France ? On les met en avant, eux et les policiers. Mais les enseignants, les infirmiers, les pompiers, les chercheurs, les ouvriers, les gens qui travaillent la terre, et tous les autres… les intellectuels, les philosophes, les écrivains… eux, ils n’existent pas ? S’il y a bien quelque chose qui peut faire l’honneur de la France dans son histoire, c’est son intelligence collective, même si elle est aujourd’hui étouffée, mise sous étau. Regardez qui on nous sert à la télévision : Zemmour et Morano ! Il y a une médiocrité, quelque chose qui nous tire vers le bas, intellectuellement et socialement, et qui nous divise. (...)
Un an plus tard, comment vois-tu les choses ? les terroristes ont-ils gagné ?
Les terroristes ET les xénophobes. Non, ils n’ont pas gagné, car on est encore là, on n’est pas spectateur, passif ; même si on manque d’audience, on fait notre part. Par contre, oui, ils prospèrent, tous ceux qui vivent de nos divisions. Les contrats d’avions Rafale s’envolent, l’état d’urgence se poursuit, les attentats continent à travers le monde, Le Pen et compagnie ne se sont jamais aussi bien portés, Trump est élu… la vie est belle !
Mais chacun de nous continue à faire ce qu’il a à faire, aussi bien qu’il peut, à son échelle. (...)
Il n’y a pas que les attentats, il y a tout ce qui va autour. La religion, l’état d’urgence. Il y a aussi cette question de l’indignation parfois sélective. Quand une attaque se passe chez nous à Paris, évidemment on est tous meurtris. Mais le 12 novembre, c’était la même à Beyrouth. Et quand il y a eu ce drame au large de Lampedusa, plusieurs centaines de migrants noyés, on n’est pas sorti dans la rue avec des panneaux « je suis réfugié ». On ne s’est pas rassemblé par milliers sur une place pour crier notre indignation. On l’a pas fait, on n’a même pas eu le début de l’idée de le faire.
Ça doit nous interpeller. Ce qui nous manque, c’est de la bienveillance, de la fraternité. Ce sont des mots très cons, mais qu’on a perdus, notamment ici, en France (...)
il y a deux logiques. Première logique, Trump, Le Pen : on érige des murs. Quoi qu’il se passe autour de nous, et quand bien même ce serait notre faute, on s’en fout. S’enfermer dans des forteresses… le titre de mon prochain album, c’est d’ailleurs L’Empire de papier. Le papier, c’est le petit billet vert. Ça renvoie à ces forteresses qu’on crée pour protéger nos biens, nos emplois ou notre sacro sainte croissance. Mais il existe une autre logique, celle qui considère qu’on est tous lié, et que ce qui nous arrive, les crises migratoires, écologiques, sociales, sont interconnectées.
Cette logique d’interconnexion, c’est justement celle que l’écologie…
Pour moi, l’écologie, le social… ce sont les mêmes combats. (...)
Quand tu te bats contre la violence d’un système, la meilleure réponse, c’est la non-violence. Je ne dis pas que c’est facile. Mais si tu veux porter une alternative, tu dois incarner autre chose. Le jour où tu entres dans un cycle de violence, c’est déjà une première défaite. (...)
Lundi 14 novembre, on devrait connaître le sort réservé à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Une bonne nouvelle ?
Oui, une bonne nouvelle qu’on doit aux grenouilles ! (sourire) Mais il y a plein de bonnes nouvelles. Chaque jour apporte son lot de petites victoires, chaque régularisation de sans-papiers est à célébrer. Bien sûr, on aimerait qu’il y en ait plus, des plus grandes, des plus symboliques comme à Notre-Dame-des-Landes, parce que oui, ça donne du cœur à l’outrage !