
Face au déferlement des propos haineux sur la Toile, le gouvernement veut renforcer les mécanismes de répression et de surveillance. Mais jusqu’à quel point est-ce tolérable ? Interview avec Christine Lazerges, présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH).
(...) un projet de loi serait en cours d’élaboration, qui pourrait être présenté par Manuel Valls très prochainement, avec à la clé une plus grande répression et une responsabilité renforcée pour les acteurs de l’Internet. Mais n’est-ce pas un risque pour la liberté d’expression ? Nous avons interrogé Christine Lazerges, présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH). (...)
01net.com : Une personne confrontée à un contenu choquant sur Internet peut avoir du mal à faire la distinction entre liberté d’expression et discours de haine. Comment faire la différence ?
Christine Lazerges : La liberté d’expression est un droit fondamental, et le web offre une formidable tribune au pluralisme des opinions et des idées. Pour autant, ce n’est pas un espace de liberté totale. On peut parfaitement défendre des idées choquantes, mais il ne faut que cela remette en cause notre « vivre ensemble » démocratique par l’expression de la haine d’autrui.
La liberté certes, mais l’internet n’est pas une zone de non-droit.
Les discours de haine caractérisent des abus de la liberté d’expression qu’il faut combattre. Ils englobent toutes les formes d’expression qui peuvent offenser ou encourager le mépris, l’hostilité ou la violence envers des ethnies, des groupes religieux, les femmes ou encore les minorités en général.
Nous pensons que le meilleur cadre pour lutter contre ces abus, y compris sur Internet, est la loi sur la liberté de la presse de 1881. Celle-ci définit de manière subtile l’équilibre à maintenir entre la liberté d’expression et ses limites. Elle apporte aussi davantage de garanties aux citoyens et empêche toute répression démesurée.
Pourtant, la loi du 13 novembre 2014 a fait entrer l’apologie du terrorisme dans le code pénal, alors que cette infraction était auparavant réprimée dans la loi de 1881…
C.L : C’est exact, et nous nous étions d’ailleurs opposés à cela dans notre avis du 25 septembre dernier. Cela se justifie pour des provocations suivies d’effet, lorsque des propos génèrent des actes de terrorisme. Mais en dehors de ces cas précis, nous pensons qu’il faudrait rester dans le cadre de la loi de 1881.
De nombreuses comparutions immédiates pour apologie du terrorisme ont eu lieu à la suite des attentats de janvier, avec à la clé des condamnations. Etaient-elles justifiées ?
C.L. : Pour certaines oui, pour d’autres non. Sous le coup de l’émotion la répression a été très excessive. Les procédures d’urgence ne sont pas adaptées pour juger de telles infractions (...)
Par ailleurs, les auditions conduites à la CNCDH ont établi un manque de coopération des acteurs étrangers avec les autorités françaises. Les premiers revendiquent leur extranéité [i.e. leur qualité d’étranger, ndlr] et considèrent que la loi française ne les concerne pas... Or, sans le concours de ces prestataires, il est extrêmement difficile d’identifier l’auteur d’un propos illicite. (...)