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Hanouna, « TPMP » et les médias
Article mis en ligne le 18 juillet 2022

Le 1er février, Cyril Hanouna et ses acolytes ont passé vingt minutes à démolir la chercheuse du CNRS Claire Sécail, autrice d’une étude sur le traitement de la campagne présidentielle dans l’émission « Touche pas à mon poste » sur C8.

En octobre 2021, Claire Sécail démontrait que « TPMP » faisait le jeu d’Éric Zemmour. Le 26 janvier, ses résultats intermédiaires allaient dans le même sens : « L’émission a très largement favorisé les candidats d’extrême droite et en particulier Éric Zemmour ». Ainsi, 53% du temps d’antenne consacré aux contenus politiques (qui représentent quant à eux 17% du temps d’antenne total de l’émission) a été occupé, entre septembre et décembre, par l’extrême droite ; 45% pour le seul Zemmour. « Le traitement du cas Zemmour est aussi spectaculaire sur le plan qualitatif ». C’est que l’effet cadrage joue à plein : tantôt victime (« Éric Zemmour est celui que l’on censure, que l’on cherche à blesser, à faire taire, etc. »), tantôt conquérant (sondages favorables), Zemmour occupe une place centrale… Et ce d’autant que le dispositif dépolitise à souhait : 1/ Cyril Hanouna ne dit pas de ses invités qu’ils sont d’extrême droite ; 2/ « L’enjeu du débat [est ramené] non pas aux idées politiques mais aux qualités relationnelles des personnes » ; 3/ Les antagonismes sont traités sur un registre émotionnel plutôt que par des « arguments de fond du contradictoire ». En outre, il ressort de l’étude que l’émission a « installé une vision bipolarisée de la compétition électorale entre Éric Zemmour et Emmanuel Macron. Les autres candidats issus des formations partisanes de droite (LR), de gauche (PS, PCF…) et écologistes ont été invisibilisés quantitativement et parfois disqualifiées qualitativement ».

La surmédiatisation d’Éric Zemmour reste toutefois le point qui a cristallisé l’attention médiatique. Le 1er février, Claire Sécail est l’invitée de « L’Instant M » sur France Inter et L’Humanité lui ouvre ses colonnes dans une interview annoncée dès la Une, Cyril Hanouna en gros plan : « Le bouffon au service de l’extrême droite ». Le « bouffon » en question en a eu vent… Le soir même, sur C8 :

Cyril Hanouna : Les chéris, on va tout de suite passer au doss’ du jour. On va parler de cette étude réalisée par Claire Sécail. Claire Sécail, c’est une chercheuse au CNRS qui fait beaucoup parler. Alors moi, je savais pas du tout que les chercheurs au CNRS, ils pouvaient faire des recherches sur la télévision. En fait, je croyais qu’ils cherchaient des vaccins des trucs comme ça, mais non, il y en a qui cherchent pour la télévision. C’est-à-dire je rappelle que le CNRS, c’est nous qui le payons, c’est un truc de l’État, donc il faut dire que j’ai beaucoup payé le CNRS pour qu’ils fassent une étude, voilà… [Rires].

La traditionnelle machine à réhabiliter l’image de marque Hanouna est lancée, et avec elle, le ton de l’émission. Dans le rôle du faux naïf acclamé par sa cour, l’animateur (millionnaire) active d’emblée le clivage du « eux » contre « nous » avec, dans sa besace, l’usage réactionnaire de l’outil « impôt », mobilisé ici comme un prélèvement extorqué au « peuple » dans le but d’entretenir une « élite » intellectuelle méprisante, déconnectée et inutile. En quelques mots, avec l’air de ne pas y toucher, le décor est planté et les affects, excités. Cyril Hanouna a bien essayé de contester les comptages de Claire Sécail – « ses chiffres ils sont pas bons » ; « des chiffres qui sont un peu faux, un peu biaisés », « des chiffres qui sont n’importe quoi ». En réalité, un fact-checking sans queue ni tête, qui n’a pour but que de proposer un discours alternatif… et surtout performatif. Lorsque Claire Sécail compte les temps d’antenne politique consacrés à chaque courant dans l’émission « TPMP », de septembre à décembre, Hanouna lui répond en donnant les temps de parole des candidats et de leurs soutiens, sur la chaîne entière, et pour janvier uniquement [2].

À défaut de pouvoir rivaliser sur le fond, l’animateur et les chroniqueurs vont tenter de décrédibiliser la chercheuse. Une disqualification de sa personne, de son travail et par capillarité, de l’institution à laquelle elle est rattachée (le CNRS), à laquelle vont se livrer chroniqueurs et invités en instruisant un triple procès : un premier en « lâcheté », un deuxième en « militantisme », et un dernier en « déconnexion », mention « complotisme » (voir l’annexe pour les détails).

Les conclusions des travaux de Claire Sécail n’ont été sérieusement exposées nulle part dans l’émission. (...)

On ne s’étonnera pas, toutefois, que ce triple procès soit en tous points semblable à celui qu’instruisent les journalistes et médias dits « légitimes » en d’autres circonstances, et vis-à-vis d’autres chercheurs ou journalistes « intrus ». Et pour cause, tant la « télé Hanouna », aussi spécifique soit-elle par certains aspects, reste le pur produit des dominants, très fortement ancrée dans le petit monde… des médias dominants. (...)

La distinction « eux »/« nous » – d’autant plus floue qu’elle reste souvent indéfinie – sur laquelle s’appuient les chroniqueurs, réactive en permanence des clivages préexistants, souvent réactionnaires, toujours venus des dominants. À de nombreuses reprises au cours de l’émission, il est par exemple question des médias de la « bien-pensance » contre la « télé Hanouna », qui incarnerait le « réel » et refléterait les « vraies préoccupations des Français ». (...)

la « télé Hanouna » n’est ni plus ni moins qu’ailleurs le reflet « du réel » ou « des préoccupations des Français »… que les constructions qu’elle en opère. Et force est de constater qu’en la matière (polariser un agenda autour de l’immigration ou des questions dites « sécuritaires »), elle ne se distingue pas vraiment des galaxies médiatiques voisines… Ce qui n’empêche pas au mot d’ordre d’être brandi jusqu’à plus soif dans la suite de l’émission, dont l’un des enjeux – en plus de « se légitimer » dans le champ journalistique – reste de justifier les raisons pour lesquelles Zemmour a été surmédiatisé. Et le glissement progressif de l’argumentation est éloquent.

Rien de plus naturel, nous dit-on d’abord : l’objet de « TPMP » est de parler des médias. Le fait que Zemmour y ait été omniprésent (en sa présence ou en son absence) justifie par conséquent son omniprésence dans « TPMP ». (...)

Éternels faire-valoir, les classes populaires ont (toujours) bon dos : hier comme aujourd’hui, des médias par et pour eux – s’appuyant sur ceux qui existent déjà et en dehors des businessmen qui s’en revendiquent dans les canaux dominants – restent à construire. Car avaliser le clivage « Hanouna » versus « autres médias dominants », c’est en définitive assister au spectacle d’une lutte entre des bourgeois… et d’autres bourgeois brandissant « le peuple » en étendard, et en bouclier. (...)

Ainsi, si des différences tout à fait notables persistent entre la « télé Hanouna » et le reste de l’audiovisuel – la première portant les travers du second à leur paroxysme –, l’agenda converge avec celui des autres médias, et les pratiques se rejoignent. Chez Hanouna, on blablate… comme sur les chaînes d’info ou sur le plateau de « C dans l’air ». Chez Hanouna, on « décrypte la communication politique »… comme une partie des émissions politiques de France Inter ou dans « Quotidien » sur TMC. Chez Hanouna, on fabrique et on commente des sondages jour après jour au pied levé… comme dans la quasi-totalité des journaux d’information. Chez Hanouna… comme à France Bleu (et ailleurs), les petites mains témoignent d’humiliations, de pressions et de conditions de travail exécrables. Bref, chez Hanouna – comme (mais plus qu’) ailleurs –, les médias dominants restent au service des dominants, l’information est une marchandise, et les soutiers trinquent à mesure que s’embourgeoisent les hauts-gradés. C’est précisément « ça » qu’il est temps de mettre à terre. (...)