
Les hommes politiques de droite et d’extrême-droite partagent probablement un patrimoine génétique commun : par delà les frontières, ils forment une tribu qui utilise le même langage, les mêmes codes, les mêmes ressorts. Parmi ces ressorts, la peur est un instrument de premier choix : instinctive, souvent irraisonnée, elle appelle une forme de thérapie primale qui permet au chef de gagner les cœurs en annihilant les consciences. La peur est un puissant vecteur de domination, une aide précieuse pour conquérir le pouvoir ou le conforter, pour renforcer la cohésion des troupes contre l’ennemi commun. Aujourd’hui, la crise économique, la menace terroriste, les tensions internationales, sont instrumentalisées sans vergogne par des populistes et démagogues qui ne font que renforcer les dangers qu’ils dénoncent.
En Israël, le Premier ministre sortant, Benyamin Nétanyahou, vient de remporter les élections législatives en appliquant une nouvelle fois les vieilles recettes qui lui ont permis d’accéder au pouvoir. Pour le chef du gouvernement de l’Etat hébreu, les palestiniens sont un peuple barbare et la cohabitation est impossible : « Etablir aujourd’hui un Etat palestinien et évacuer des territoires offrirait des bases d’attaque à l’Islam radical contre l’Etat d’Israël » ! Les israéliens confient ainsi leur destin au messager de la peur et au porteur de haine qui n’a pas hésité à hystériser les débats et dramatiser les enjeux peu avant l’échéance. Les deux peuples de cette Palestine, décidément guidée par de bien mauvais génies, sont désormais au bord du gouffre. Le mur symbolise l’apartheid mental et physique construit par le gouvernement israélien ; il ferme l’horizon et appelle en permanence à la révolte d’un côté et au repli identitaire juif de l’autre. En cultivant la peur au sein de la société israélienne, en maintenant les palestiniens dans la relégation et en leur ôtant tout espoir de sortie de crise dans la dignité et la reconnaissance de leurs droits, Benyamin Nétanyahou vient de livrer la région aux extrémistes des deux camps. Cette démarche est véritablement criminelle et il est plus que temps que la communauté internationale se saisisse d’un dossier qui relève de la compétence de l’ONU.
En France, le Front National attise les peurs avec son triple I : « immigration, insécurité, impôts ». Le décor avait malheureusement été déjà planté par le gouvernement qui a tout mis en œuvre pour porter ces trois problématiques sur le devant de la scène. Maintenant, le triptyque magique de Marine Le Pen risque de porter ses fruits électoraux ; le cerveau reptilien de l’électorat est prêt. . .
Manuel Valls espère éviter une déroute dimanche en jouant sur la peur et le rejet du FN par l’électorat de gauche, mais comment parier sur un réflexe républicain quand on foule aux pieds les valeurs de la république et quand on représente un parti massivement désavoué par l’électorat populaire ? Cette stratégie ne peut qu’être perdante.
Le gouvernement s’obstine par ailleurs à exploiter d’autres peurs et notamment le traumatisme causé par les attentats du mois de janvier. Il s’apprête à soumettre au vote du Parlement une loi sur le renseignement dont le projet attire déjà les vives critiques de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNCL). Si cette loi est approuvée, un nouveau pas en direction du fichage et de l’espionnage généralisé des citoyens sera franchi. De nouveaux moyens de surveillance et de contrôle particulièrement performants et invasifs permettront de ficher à peu près tout ce qui bouge ou communique. D’après la Commission, les techniques prévues par le projet de loi auront des « conséquences particulièrement graves sur la protection de la vie privée et des données personnelles ». « Il ne s’agit plus seulement d’accéder aux données utiles concernant une personne identifiée, mais de permettre de collecter de manière indifférenciée, un volume important de données qui peuvent être relatives à des personnes tout à fait étrangères à la mission de renseignement ». Et la CNCL précise : « Les garanties prévues pour préserver les droits et libertés ne sont pas suffisantes pour justifier une telle ingérence ».
Il ne nous restera plus qu’à adopter des comportements strictement compatibles avec la norme fixée par les gouvernants ou à rester tapis dans l’ombre, sourds et muets, seuls avec nos consciences, qui constitueront, peut-être provisoirement, le dernier rempart, la sphère ultime de nos libertés.
Le totalitarisme n’a nullement besoin d’attendre le Front National pour déployer sa toile.
Comme toutes les droites, Manuel Valls et son gouvernement préfèrent désigner et stigmatiser les menaces réelles ou potentielles, afin de corrompre et de soumettre le peuple. Comme ils le font depuis Mitterrand, les socialistes préparent obstinément, inlassablement, le terrain à l’extrême-droite. Et désormais, vis-à-vis d’elle, la peur n’existe plus