
Tandis que la France entière faisait la queue pour rendre hommage à Jacques Chirac aux Invalides, les éditorialistes unanimes saluaient son sens de la démagogie, du clientélisme et du libéralisme. Ou pas.
(...) « Ces derniers jours, développe Anne-Claire Coudray, on a beaucoup évoqué la popularité de Jacques Chirac. » Beaucoup ? C’est peu dire. « Elle s’est largement vérifiée aujourd’hui. Ce sont des dizaines de milliers de Français qui ont tenu à lui dire adieu. » Etrangement, cette insistance à exagérer le nombre de participants s’observe rarement lors des décomptes de manifestants. « Le plus frappant, c’est surtout la diversité de leurs profils. » Un micro-trottoir dans la file d’attente le confirme : la foule incommensurable se partage entre chiraquiens de toujours et chiraquiens de la dernière heure. (...)
Un spécialiste de l’assainissement. Didier Bredèche, maire de Lignareix (à moins qu’il s’agisse de Didier Lignareix, maire de Bredèche…) raconte avec émotion : « Je lui ai dit : “Je ne peux pas engager les travaux.” Il m’a dit : “T’occupe pas !” Il a tourné le dos, il a dit : “Bon, allez !” Quinze jours après, j’ai reçu un courrier… J’ai presque embrassé la lettre. » Et moi, j’ai presque embrassé mon téléviseur à l’évocation de ce clientélisme qui a fait le succès de Jacques Chirac et la gloire de notre République. (...)
François Lenglet entame une longue énumération des bienfaits du génie économique de Jacques Chirac. « Modernisation du marché du travail avec le développement du temps partiel… » Quoi de plus moderne que le temps partiel ? Sans parler des facilités accordées aux employeurs pour licencier et aux propriétaires pour augmenter les loyers, comme le rappelle l’historienne Ludivine Bantigny. « … Privatisation de soixante-cinq entreprises dans l’industrie et dans la banque… » Et dans le secteur de l’audiovisuel : Bouygues achète TF1 sous couvert de « mieux-disant culturel ». « … Baisse des impôts pour tous… » Sauf pour les plus modestes, exonérés de l’impôt sur le revenu. « … Et suppression de l’impôt sur les grandes fortunes. » Déjà ! Chirac avait trente ans d’avance.
« Il y a donc eu un Chirac réformateur. » Or, jusqu’à aujourd’hui, rien ne vaut les « réformes » (libérales, ça va sans dire). « Il a dépoussiéré l’économie française. » Et les droits des travailleurs du dépoussiérage. « La France, en 1988, enregistre une croissance de 4,6%. » Vive la croissance ! « Un record qui est toujours à battre. » Ça ne devrait pas tarder : Emmanuel Macron pratique la même politique que celle qui a valu à Jacques Chirac sa formidable « popularité ». (...)
Ce dimanche, au lendemain du discours d’Eric Zemmour à la Convention de l’extrême-droite raciste diffusé en direct sur l’antenne de LCI, c’est à celle-ci que revient la palme de l’hypocrisie. « Je voudrais qu’on réécoute les mots de Jacques Chirac en 2007 quand il quitte l’Elysée », propose la présentatrice. Extrait : « Ne composez jamais avec l’extrémisme, le racisme, l’antisémitisme ou le rejet de l’autre. Dans notre histoire, l’extrémisme a déjà failli nous conduire à l’abîme. C’est un poison. » La présentatrice interroge : « Il reste quoi de cet héritage ? » Il reste un poison fièrement distillé par LCI. L’éditorialiste Renaud Pila explique : « Jacques Chirac, c’est celui qui, à droite, a tracé ce qu’on appelait le cordon sanitaire autour du Front national. » Auquel LCI a substitué un cordon ombilical. (...)
La palme de l’obséquiosité, elle, revient sans conteste à Alain Duhamel. Lundi matin, alors que l’actuel président préside l’hommage à l’ancien président, l’immarcescible éditorialiste déclare sur BFMTV : « Emmanuel Macron a le comportement, le visage, l’expression qui conviennent. Je ressens ça comme beaucoup d’authenticité, beaucoup de gravité. Et l’anticipation de ce qui lui adviendra. » A l’âge qu’il a, il faudrait un terrible coup du sort pour qu’Alain Duhamel puisse commenter ce qui adviendra.