
« Réinventer le futur pour l’entreprise, ne devrait pas se limiter à rester concurrentiel vis, mais à créer un nouvel espace de réflexion pour donner une nouvelle dimension aux relations humaines. » Joël de Rosnay*, docteur ès sciences, écrivain, scientifique, conseiller honoraire de la Présidence d’Universcience et président exécutif de Biotics International.
(...) Joël de Rosnay : Pour réenchanter le futur, il faut le réinventer. Le réinventer sous un angle positif. Envisager tout ce qu’il peut y avoir de positif dans le futur. Jusqu’à présent, la prospective consistait à penser le futur de nature industrielle. Je ne parle pas seulement des aspects prospectifs au sens industriel, mais aussi au sens sociologique du terme. Depuis Gaston Berger, inventeur de la prospective, les industriels, les sociologues, les prospectives, ont la plupart du temps pensé le futur comme une prédiction. Au-delà de la prévision sociologique ou industrielle du futur, il faut viser un futur positif, accueillant, qui ne soit pas un futur déterminé mais un scénario à explorer. Voilà pourquoi j’utilise cette formule : réinventer le futur. La crise Covid a donné naissance à un désenchantement, à une vision angoissante de l’évolution de la planète et des relations humaines. Il est nécessaire d’envisager un futur bienveillant et des relations humaines fondées sur la confiance et l’empathie. (...)
La prospective est l’outil prospectif utilisé pour prédire ou anticiper le futur. Moi, je propose de construire des scénarios pour le réinventer. C’est très différent en réalité, car le mot « construction » doit être compris au sens du terme anglo-saxon « design ». Habituées à l’analyse de systèmes, les entreprises ne sont pas prêtes à faire du design parce qu’elles sont mal à l’aise avec la multidisciplinarité, la polydépendances, les interactions.
De façon générale, les décideurs pratiquent une prospective pure et dure, très pragmatique, liée aux objectifs immédiats et à la compétitivité de l’entreprise. Réinventer le futur pour l’entreprise, ne devrait pas se limiter à rester concurrentiel vis, mais à créer un nouvel espace de réflexion pour donner une nouvelle dimension aux relations humaines. Il leur faut repenser l’espace de l’entreprise au sens propre comme au figuré. Ils doivent s’interroger sur sa finalité, et son utilité. À quoi sert l’entreprise aujourd’hui ? À quoi servira-t-elle dans 50 ans ? (...)
À l’heure actuelle, de grands dangers menacent, à commencer par la compétition et la concurrence permanentes, le danger environnemental et du changement climatique, le danger de la déshumanisation des relations humaines à l’ère du digital et du repli sur soi, le danger des géants du numérique qui disruptent tous les secteurs de la vieille économie, etc. (...)
Pour réenchanter le monde, et donc réenchanter le futur, il faut réunir deux éléments principaux : l’émotion et la sagesse. L’émotion, parce que la raison ne suffit pas. Il faut susciter l’adhésion à ce futur, donner envie à tous, notamment aux enfants d’y participer. La sagesse, parce qu’on ne peut pas faire n’importe quoi. Agir sur les choses implique de tenir compte des contraintes et de savoir s’y adapter, de les exploiter de façon positive. Il est inutile de lutter contre les obstacles ou les éléments que vous ne maîtrisez pas. Comme en surf, il faut utiliser la vague, en faire un atout. C’est ça la sagesse. (...)