
La mise en place d’un numéro d’identification unique pour chaque citoyen est censée favoriser l’accès des plus pauvres à l’aide sociale. Mais c’est surtout une belle arme de contrôle, estime l’économiste indien Jean Drèze.
(...) Les agences de renseignements ne peuvent pas rêver mieux. Les empreintes digitales de tout le monde enfin accessibles d’un seul clic, accompagnées de données démographiques et de tout ce qui s’ensuit. Dès qu’un suspect réservera un billet d’avion, fréquentera un cybercafé ou utilisera n’importe lequel des services qui vont bientôt nécessiter un numéro aadhaar, cette personne sera aussitôt sous le radar. Mettons, par exemple, que la romancière et militante Arundathi Roy se rende une nouvelle fois dans le Dantewada [district où sévit la guérilla maoïste], elle se fera cueillir à son arrivée comme un fruit mûr. Formidable ! (...)
le numéro aadhaar constitue un vrai danger pour les libertés individuelles. Comme un observateur l’a très bien formulé, il crée “l’infrastructure de l’autoritarisme” – un degré sans précédent de surveillance et de contrôle des citoyens par l’Etat. Cette infrastructure ne sera peut-être pas mise au service de noirs desseins, mais pouvons-nous en prendre le risque alors que nos organismes gouvernementaux ont un passé peu reluisant en matière d’arbitraire et d’impunité ?
Alors, ce numéro est-il un outil moderne ou une calamité ? Cela dépend pour qui. Pour les agences de renseignements, les directeurs de banque, les grandes entreprises et l’autorité en charge du projet, ce sera un outil moderne et une bénédiction. Pour le citoyen lambda, en particulier les pauvres et les marginalisés, cela pourrait bel et bien être une calamité. (...)