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« Ici, c’est un refuge pour tout le monde » : au zoo de Kiev, hommes et animaux restent ensemble
Article mis en ligne le 18 mars 2022

Le zoo de la capitale ukrainienne n’échappe pas au conflit qui ravage le pays. Quasiment encerclé par l’armée russe, Kiev tient bon, mais subit quotidiennement des bombardements, dont les bruits fracassants terrorisent les animaux. Comportements inhabituels, troubles maternels, panique : vingt jours après le début de l’invasion russe, les effets de la guerre se font sentir dans le zoo de la ville.

« On fait en sorte que tout soit plus ou moins comme d’habitude », explique l’homme à l’imposante carrure, veste à l’effigie du zoo sur les épaules.

Rien n’est pourtant pareil depuis le début de l’invasion russe, le 24 février dernier. L’établissement a fermé ses portes aux visiteurs et, comme le reste de la ville, il a appris à vivre au rythme de la guerre. Celui qui accueillait l’année dernière encore près de 700.000 personnes ressemble désormais à un parc fantôme, où le silence règne. Jusqu’à ce qu’un bruit sourd vienne perturber les explications de Kyrylo.

« Ce sont des bombardements à quelques kilomètres de là, ou bien des missiles antiaériens lancés pour protéger la ville, on ne sait jamais vraiment », tente de rassurer le directeur du zoo, sous les vrombissements incessants du ciel. L’homme reste impassible, trop habitué à entendre les bombes tomber pour s’en soucier. À quelques mètres seulement, dans un bâtiment calfeutré derrière une grande porte, un imposant animal s’agite. Lui craint plus que tout ce bourdonnement qui résonne dans les oreilles. « C’est Horace, notre éléphant », explique Kyrylo, en empoignant un panier rempli de pommes. « On est obligé de l’enfermer à l’intérieur pour le préserver le plus possible du bruit des bombes. Dehors, s’il les entend, c’est la panique. » (...)

Horace s’agite, remue sa trompe. Il souffle, crache presque. « Il n’y a que les pommes qui l’apaisent », explique Kyrylo. L’homme tend les fruits vers la bête. Le calme revient. « On est aussi obligés de lui donner des sédatifs. »

Les médicaments ont beau faire leur effet, les nuits de l’éléphant privé d’air frais sont parfois difficiles. Horace tourne en rond. Le personnel a donc décidé d’installer un lit dans une salle près de l’enclos, pour lui tenir compagnie. (...)

L’administration aurait bien aimé lancer d’importantes manoeuvres d’évacuation de ses quelque 4.000 pensionnaires -plus de 200 espèces différentes. Impossible d’imaginer un tel plan aujourd’hui, alors que la situation s’aggrave autour de la capitale, notamment dans la ville d’Irpin, théâtre de violents combats, à seulement dix kilomètres au nord-ouest du zoo. Pire, au lieu de se vider, le zoo a été contraint d’accueillir de nouveaux animaux. « On a récupéré une trentaine d’oiseaux d’Ukrainiens qui ont fui la ville », explique Kyrylo, en longeant les cages à volatiles réparties de part et d’autre d’un long couloir vitré.

Kyrylo a pourtant d’autres préoccupations. Son zoo pourrait bientôt faire face à des difficultés d’approvisionnement en nourriture pour ses animaux. Les stocks diminuent et l’accès aux denrées alimentaires pourrait rapidement devenir un grave problème en cas de siège prolongé. « Pour l’instant, on a assez pour dix jours environ », ajoute l’Ukrainien. Prévoyant, le personnel a vu venir le danger que provoquerait une telle pénurie. Dans un petit jardin du parc, ils ont planté des laitues. (...)

Au sixième jour du conflit, des bâtiments qui jouxtent la tour de télévision de Kiev, dont on peut entrevoir la pointe depuis le parc, ont été touchés par un bombardement. Cinq personnes sont mortes dans l’explosion. « Le bruit a atteint le zoo et a provoqué la panique chez les animaux », raconte Kyrylo. Si la plupart des frappes se veulent ciblées, elles n’épargnent pourtant pas les infrastructures non militaires ni les résidences à Kiev, mais aussi dans les autres villes du pays sous le feu russe. Le zoo de Mykolaïv en a notamment fait les frais. Deux roquettes Ouragan de 220 millimètres de diamètre se sont plantées dans le sol du parc animalier à deux reprises, le 7 et le 12 mars. (...)

« Vivre dans le zoo, c’est mieux pour notre santé mentale » (...)

« La vraie différence, c’est qu’on est obligé de calmer les bêtes. De leur parler sans cesse, de passer plus de temps avec elles, pour essayer de les détendre. Ce n’est pas évident, parce qu’on est nous-mêmes très stressés. » (...)

Accompagné de sa mère, de son chien et de son chat, Kyrylo a été l’un des premiers à poser ses valises dans le parc animalier, avant que de nombreux membres du personnel et de leurs familles n’emboîtent à leur tour le pas. Le zoo s’est ainsi transformé depuis les premiers jours du conflit en un refuge d’une tout autre sorte : celui d’hommes, de femmes et d’enfants venus trouver protection et réconfort au sein de l’établissement. (...)

Transformée en une forteresse armée, Kiev est paralysée par la guerre, suspendue à l’attente d’un assaut imminent. Un contexte angoissant, que certains employés du zoo ne préfèrent pas affronter seuls. « Si on reste à la maison, à écouter les nouvelles de la guerre, on devient fou, ajoute Kyrylo. Ici, c’est un refuge pour tout le monde, on reste ensemble, on se soutient. Vivre dans le zoo, c’est mieux pour notre santé mentale. »

Au total, environ une trentaine de personnes dorment désormais dans le zoo de Kiev. (...)