
ou "La haine des féministes à l’épreuve du temps"
Il y a cent ans, on traitait déjà les féministes d’hystériques, d’extrémistes parce qu’elles voulaient porter le pantalon et travailler et voter.
Il y a trente ans, tout le monde trouvait ça normal que les femmes portent le pantalon, travaillent et votent, mais on traitait encore les féministes d’hystériques, d’extrémistes parce qu’elles voulaient le droit à la contraception et l’égalité en droit entre hommes et femmes dans la loi.
Aujourd’hui tout le monde trouve ça normal qu’on ait droit à la contraception et que l’égalité hommes-femmes soit inscrite dans la loi, mais on traite encore les féministes d’hystériques, d’extrémistes parce qu’elles demandent à ce que la loi soit réellement appliquée, et parce qu’elles posent des questions sur le genre.
Après avoir commencé par les rejeter avec une violence inouïe, la société et ses membres a accepté, légitimisé et intériorisé nombre des revendications féministes au cours du temps, au point de finir par regarder le passé comme une époque quasi-barbare. (... )
L’argument ultime des anti-féministes et même des gens "normaux", depuis toujours et jusqu’à aujourd’hui : les féministes voudraient aller à l’encontre de l’ordre naturel des choses, en refusant les rôles que nos natures de mâles et femelles nous auraient assigné. Car oui, au siècle dernier on considérait que c’était aller à l’encontre de la nature de femme que de mettre des pantalons. Aujourd’hui, ce serait de dire que notre personnalité n’est pas définie par notre sexe qui serait aller à l’encontre de la nature. Bien sûr, vous avez l’impression que ce n’est pas du tout la même chose, qu’aujourd’hui c’est une question d’une tout autre dimension, bien plus grave. Mais c’était déjà exactement ce qu’on se disait il y a cent ans, avec peur de l’effondrement de la société à la clé, à cause des féministes qui veulent voter, oui oui. Je vous propose donc d’en reparler dans quelques années.
Ce que les gens ne comprennent pas, c’est que l’immense majorité des choses dont ils croient qu’elles sont naturelles chez l’humain, ou qu’elles se sont construites "naturellement" au cours des siècles passés, ne sont en réalité pas du tout le résultat d’une évolution naturelle de l’être humain, mais le fruit de décisions, et j’insiste là dessus, pas du hasard, des choix conscients, des décisions arbitraires prises par des humains, mâles la majorité du temps. Sauf qu’on a oublié qu’un jour, il y a très longtemps, quelqu’un a pris cette décision, et ne restent que les conséquences. Comme on ne se souvient plus de leur cause, on se dit que ces conséquences ne sont en fait pas des conséquences de quoi que ce soit, mais seulement "l’état naturel des choses". (... )
Et aujourd’hui, on a oublié toutes ces décisions, et on croit que c’est naturel que les femmes prennent le nom de leur époux et abandonnent toute leur vie pour le suivre, que c’est naturel que les métiers "de femmes" soient moins payés que ceux "d’hommes" et que les femmes abandonnent leur travail pour sauver la carrière de leur époux, que c’est naturel qu’une femme soit mal vue quand elle a plusieurs partenaires sexuels, que c’est naturel que les femmes soient peu présentes en politique, que c’est naturel que les femmes fassent des études moins prestigieuses que les hommes, que c’est naturel qu’il n’y ait aucun homme dans le milieu de la petite enfance, etc. Alors que c’est le fruit de décisions de coercition prises par des hommes et perpétuées par les générations suivantes, jusqu’à en oublier l’origine et les intérioriser comme étant naturelles.
Si en Occident les femmes ont en théorie les mêmes droits que les hommes aujourd’hui, ce n’est pas non plus une évolution naturelle, ce n’est pas parce que, comme beaucoup le croient, la société humaine se dirigerait naturellement, irrémédiablement, vers un monde meilleur au fil du temps.
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Si en Occident les femmes ont en théorie les mêmes droits que les hommes aujourd’hui, c’est parce que des femmes qui en avaient assez d’être opprimées se sont dressées, se sont battues pour obtenir ces droits, car personne ne pensait qu’elles les méritaient, et pour cela elles se sont fait insulter, menacer, cracher dessus, parce qu’on leur disait qu’elles allaient à l’encontre de la nature qui les avait laissées à la maison. Et si ces femmes ne s’étaient pas battues pour leurs droits, aujourd’hui vous seriez probablement encore en train de penser que la femme n’est pas assez intelligente pour travailler toute seule, voter toute seule, vivre toute seule.