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Mediapart
« Il est où le patron ? » : du sexisme en milieu paysan
Il est où le patron ? Chroniques de paysannes par Maud Bénézit et Les Paysannes en polaire Marabout, mai 2021 19,95 €
Article mis en ligne le 30 juillet 2021
dernière modification le 29 juillet 2021

Il n’y a certainement pas de patron dans cette bande dessinée rageuse et authentique. Mais de la sororité, des actions émancipatrices... et la figure tutélaire d’Anne Sylvestre.

La découverte d’un bon livre tient souvent du hasard. De passage à Saillans, dans la Drôme, ce printemps, j’aperçois une bande dessinée dans la vitrine de la librairie de cette petite commune de 1 200 habitants : Il est où le patron ? Chroniques de paysannes. Voilà un thème alléchant. Quelle chance ! L’une des autrices fait une séance de dédicaces précisément le week-end où je m’y trouve. J’en profite pour concocter un cadeau… que je dévorerai avant de l’offrir.

Dès les premières pages, le ton est donné. Une jeune femme a rendez-vous dans une chambre d’agriculture pour y déposer un dossier d’installation comme éleveuse de chèvres et productrice de fromages. Elle a déjà trouvé la ferme ; elle prendra la suite d’un paysan bientôt retraité, auprès de qui elle est en train de se former. Son dossier est un peu… « naïf », lui rétorque-t-on. « Peut-être avez-vous un conjoint avec qui vous installer ? Pour qu’il s’occupe des tâches les plus pénibles, les plus physiques ? »

Les tâches « les plus pénibles, les plus physiques » ne font pourtant nullement peur à Jo, Coline et Anouk, les trois héroïnes de cette bande dessinée drôle et acérée qui raconte, par petites touches, le sexisme en milieu paysan. (...)

Jo, Coline et Anouk sont des personnages fictifs. Mais leurs aventures sont constituées d’anecdotes réelles, vécues par les cinq autrices de cette bande dessinée iconoclaste (...)

il en faut, de l’humour et de la sororité, pour résister au machisme ambiant de ce milieu empreint de domination masculine où longtemps, les femmes ont travaillé dans l’ombre d’un mari sans même être rémunérées. « Quelqu’un aurait des couilles à me prêter ? » interroge Jo au cours d’une formation à la chambre d’agriculture où de jeunes paysannes comme elle s’entendent dire par un héritier d’une grande exploitation familiale : « Il faut avoir les couilles d’investir ! » (...)

Le titre de la bande dessinée est tiré d’une de ces anecdotes révélatrices : Coline, co-exploitante avec son mari, voit arriver sur sa ferme un professionnel, qui lui demande : « Il est où le patron ? » « Vous voulez dire Pierre ? » demande Coline, interloquée, au volant de son tracteur, la tête pleine de la charge mentale qu’elle porte pour sa famille tout en travaillant. « Tant pis ! Je repasserai », répond le bonhomme. Quelques pages plus loin, c’est le maire du village, sur le marché, qui fera l’éloge du mari (« Quel homme, quel patron ! Quel entrepreneur ! »)… devant Coline qui tient le stand de fromages.

Il n’y a certainement pas de patron dans cette bande dessinée rageuse et authentique. Mais une figure tutélaire, oui : il s’agit d’Anne Sylvestre, à laquelle les autrices rendent un hommage appuyé, chagrinées de n’avoir pu faire connaître leur travail à la chanteuse décédée en novembre dernier. (...)