A commenter l’émotion de l’une et la colère de l’autre, beaucoup sont passés à côté de l’essentiel. Il suffisait simplement d’écouter ces deux femmes. Et de les lire.
Il est venu ce week-end une acmé de vertu sur les réseaux sociaux, faisant de Christine Angot un personnage ignoble bafouant la souffrance d’une femme agressée sexuellement, l’ancienne députée écologiste Sandrine Rousseau, admonestée jusqu’aux larmes sur le plateau d’On n’est pas couché. Venue défendre la parole des femmes agressées et son livre, Parler (Flammarion), la politique s’est vu opposer un discours sur l’illusion du verbe politique, quand on en vient à la souffrance indicible. La larme primant le débat, on a maudit l’écrivain Angot et son comparse, l’également écrivain Yann Moix, mais lui ne nous passionne pas ici. C’est la démonisation d’Angot qui frappe, dans son unanimité proclamatoire. « Non Madame Angot, on ne “se débrouille” pas avec un viol », lance le magazine Elle, isolant une réplique de la romancière dans l’émission, et des voix influentes, sur Twitter, proclament leur solidarité envers Sandrine Rousseau, violentée sur un plateau de télévision par une intervieweuse froide, négatrice de la souffrance d’une femme.
Chacun peut choisir ses apparences. Les larmes de Sandrine Rousseau en sont une. Il est d’autres lectures, qui inversent la perspective. Le viol n’est pas étranger à Christine Angot, ni la souffrance, ni même l’outrage banal des plateaux de télévision. (....)
C’était en 1999. On riait du viol de Christine Angot à la télévision, et elle ne pleurait pas. Dix-huit ans plus tard, même chaine, France 2, même case horaire, le samedi soir, Angot, vieillie, cristallisée, didactique, se ferait huer pour n’avoir pas été gentille, refusant de trouver du charme ou de la valeur au discours de Sandrine Rousseau, ancienne député, sur les agressions sexuelles. Rousseau allait pleurer. Le vertige nous prend. (...)
Peut-on hiérarchiser les souffrances ? On peine à s’en défendre. L’inceste est un trou noir. La violence que Sandrine Rousseau décrit semblait jadis bénigne, un outrage qu’une gifle suffirait à résoudre. (...)
Nulle ne pleurait, alors ? Mais les temps ont changé, sans doute pour le meilleur. Il n’est plus d’anecdotes désormais, ni de gaudriole, mais un bloc compact, hostile, agrégé de toutes les avanies subies par toutes les femmes depuis que les hommes s’autorisent, et le coup de genou, acte individuel, est désormais politique. Sandrine Rousseau, par son livre, s’inscrit dans une nouvelle évidence. Elle porte un combat devenu décisif. En face, Angot s’arcboute sur l’unicité de chaque blessure. (...)
Ces deux femmes ne parlent pas de la même chose. Il est étrange de s’en offusquer. Il est absurde, encore, d’en détester une émission de télévision : il suffisait, sans doute, d’écouter ONPC, mots contre mots, d’entendre les discours au lieu de boire des larmes, de se délester du scandale, pour entendre une dialectique. C’est l’ambiance qu’inspire ONPC, et qu’entretient sa production, le buzz qui la pollue, l’excitation malsaine autour d’un incident dépourvu de sens (Angot quittant le plateau, touchée au plus profond d’elle-même par l’optimisme politique de Rousseau, puis revenant finir l’interview - séquence buzzée mais coupée du montage final de l’émission) qui empêche qu’on l’entende, pour ce qu’elle apporte. (...)
Il est une autre tristesse dans cette histoire. Rousseau et Angot auraient pu se parler. Elles se sont raté d’un rien. Il faudrait écouter réellement ce qui se dit sur les plateaux, et lire les livres, peut-être. (...)
Dans le bruit, les souffrances finissent par se détester.
Lire aussi :
– Christine Angot : la « femme de droite » et les salopards
– Concours de victimes… et à la fin c’est l’omerta qui gagne
– Christine Angot s’explique : “J’en ai assez qu’on demande aux femmes de revendiquer la souffrance”