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Impunité policière : le droit de manifester est en danger
Article mis en ligne le 27 avril 2015

Accentuée après la mort de Rémi Fraisse et les manifestations qui ont suivi, la répression se banalise, offre l’impunité aux policiers et menace dangereusement le droit de manifester.

La procureure de Nantes, Brigitte Lamy, n’apprécie pas d’être désignée publiquement. Dire que son classement sans suite des plaintes de manifestants équivaut à protéger la police relève, selon elle, de l’injure publique. Elle vient de porter plainte personnellement contre une affichette publiée notamment par un compte Facebook « Nantes révoltée », présentant son nom et sa photo et portant ce commentaire éclaboussé de gouttes de sang : « Brigitte Lamy, procureure de la République à Nantes protège les policiers qui blessent et mutilent. »

Cette controvers fait suite à l’impunité apparente de policiers auteurs de tirs qui ont éborgné trois manifestants le 22 février 2014, quand 525 tracteurs défilaient dans Nantes aux côtés de 40 à 60 000 personnes, avant que de violents affrontements éclatent avec la police.

Outre trois victimes, dont deux journalistes, atteints aux jambes par des tirs de balles de caoutchouc dur, trois personnes ont donc perdu l’usage d’un œil après un choc violent vraisemblablement dû à des tirs de LBD 40 (Lanceurs de balle de défense, tirant des projectiles de 40 mm de diamètre). Personne n’ayant témoigné pour décrire des scènes où les manifestants se seraient blessés entre eux, la violence est à l’évidence d’origine policière.

Malgré une enquête confiée à l’IGPN, l’Inspection générale de la police nationale, et de nombreuses vidéos et témoignages, la procureure a donc décidé de classer en bloc les six plaintes contre X pour violences volontaires.

Circulez, il n’y a rien à voir (...)

Le classement sans suite ne provoque pas irrémédiablement l’arrêt des procédures, mais il complique les démarches : les victimes doivent se constituer partie civile auprès du doyen des juges d’instruction pour relancer la machine. Et ce après un an de perdu à faire confiance à la justice pour suivre des pistes évidentes qui auraient mérité d’être menées à bout, même si l’identité des auteurs n’est pas flagrante en début d’enquête. Après tout, c’est le quotidien banal de toutes les instructions judiciaires : resserrer les présomptions sur les auteurs présumés quand un groupe est suspect et traduire devant un tribunal ceux qui paraissent les plus impliqués.

L’IGPN a visionné les images d’hélicoptère qui permettent de savoir de quel groupe policier chaque tir est parti. Dans chacune de ces unités, les policiers à qui l’on confie un LBD ne sont pas légion. On aurait pu aller jusqu’à cette phase de « recherche de la vérité » comme disent les juristes. Ces policiers n’ont pas eu à répondre devant des enquêteurs ou un juge de leur éventuelle responsabilité dans les mutilations avérées. Si on ne peut pas dire qu’il ont été « protégés », quel terme choisir ? Qu’ils ont « bénéficié de l’impunité » ?

Comme la procureure porte plainte en son nom propre, la procédure sera « dépaysée », menée par une autre juridiction que le tribunal de grande instance de Nantes. (...)

Droit de manifester en danger

L’impunité qui très majoritairement solde les poursuites pour violences policières traduit un climat qui pourrait bien avoir pour but de rendre les manifestations dangereuses pour les participants et donc porter atteinte, par la peur, au droit constitutionnel de manifester. Intitulé « Manifester en France, c’est risquer de finir en prison », un texte a été publié par le quotidien Libération les 17 et 19 avril, et signé d’universitaires et d’intellectuels (y compris des Etats-Unis, de Grande-Bretagne, du Brésil, de Slovénie), parmi lesquels figurent le réalisateur britannique Ken Loach ou le philosophe Jacques Rancière
(...)

« Que ce soit à Notre-Dame-des-Landes, à Sivens, à Nantes, à Lyon ou à Toulouse, ce n’est pas tous les jours le 11 janvier. Manifester, oui, mais pas pour saluer la mémoire du jeune militant écologiste tué par un tir de grenade de la gendarmerie, Rémi Fraisse, dans la nuit du 25 au 26 octobre. Manifester, oui, mais pas contre la série de violences policières commises par la suite à l’occasion de plusieurs manifestations interdites en préfecture. Manifester, oui, mais pas contre l’interdiction de manifester elle-même. Ces interdictions qui se sont répétées sur l’ensemble du territoire sont une atteinte grave et révoltante à un droit démocratique fondamental. »

Menacé par une plainte de la justice pour des propos sur le sabotage du projet de liaison ferroviaire Lyon-Turin, dans une interview accordée au Huffington Post italien, l’écrivain italien Erri De Luca a porté son soutien au Toulousain Gaétan Demay, soulignant combien « le droit à manifester est un droit non négociable ». Mais contre les tirs délibérés de la police et son impunité une fois les mutilations commises, où est la marge de non négociation ?