
Les intox et canulars à connotation raciste se multiplient. Circulant de réseaux sociaux en envois de courriels, ils sont même parfois relayés sans vérification par des médias. D’où viennent ces hoax ? Qui les fabrique ? Qui les relaie ? Pourquoi telle rumeur s’amplifie, puis s’estompe, pour mieux resurgir quelques mois plus tard ? Candidats et militants du FN en font leurs choux gras. Les sites qui, comme Hoaxbuster ou Debunkers, tentent de les démonter, s’inquiètent. « On ne peut rien faire, il y en a trop », s’alarme de son côté la Ligue des droits de l’Homme. Enquête.
« L’information vient de tomber : une petite mosquée sera finalement construite au 1er étage de la Tour Eiffel. » La rumeur a tourné sur la toile à l’approche des élections présidentielles. C’est un hoax : un terme utilisé pour désigner un canular, une fausse information ou une rumeur infondée. C’est loin d’être le seul ou le premier du genre. Certains ont l’apparence d’une lettre, d’autres d’un témoignage, d’un article de presse ou même d’une photo truquée. Peu importe le support employé, la finalité ici est la même : nourrir le racisme, la xénophobie, l’islamophobie ou l’antisémitisme. Impossible de tous les recenser, ni de mesurer précisément le phénomène.
Aucune instance n’a de chiffres à communiquer. « Un phénomène insaisissable », s’excusent les services de presse des institutions chargées de lutter contre les contenus racistes ou des plate-formes qui permettent aux internautes de les signaler [1]. Aucun n’a de chiffres ni même un début d’analyse sur l’ampleur et la circulation de ces hoax. « La rumeur raciste sur Internet est un bon terrain d’étude, mais il est très compliqué de savoir comment elles se diffusent, comment les gens les consomment, leur degré d’importance, observe l’historien Emmanuel Kreis, auteur des Puissances de l’ombre [2]. On sait que ce n’est pas anodin, que cela a un effet relativement large, mais pour autant très difficile à quantifier et à modéliser. » (...)
Hoax : l’idéologie raciste détrône les faux virus
« Avant, nous avions surtout affaire à des alertes aux faux virus. Aujourd’hui, la plupart sont à connotation politique ou sociétale, dans le seul but de servir une idéologie raciste », constate « Nichoax », dans l’équipe depuis 2001. Selon lui, les hoax racistes, auparavant marginaux, sont devenus un phénomène prédominant en termes de fréquence, d’audience et de popularité. « Nous avons été très surpris de voir le nombre de rumeurs islamophobes s’amplifier jusqu’à représenter un hoax sur deux parmi ceux qui nous sont rapportés » [3]. Le pourfendeur de rumeur s’est livré pour nous à une analyse du contenu d’une partie de leur forum. Bilan, les « hoax à thématique d’extrême droite » concernent près de la moitié des discussions. Ils s’avèrent aussi deux fois plus commentés et surtout cinq fois plus lus. (...)
Les réseaux sociaux se révèlent une arme de contamination massive, aussi efficace qu’une bonne épidémie de gastro. (...)
Les militants d’extrême droite, cultivateurs de rumeurs depuis deux siècles
Un outil parfait pour l’extrême droite, qui a su s’emparer de cet outil optimal de diffusion de rumeurs pour lancer ses campagnes de désinformation. « Les identitaires ont une tactique fabuleuse », ironise à ce sujet le fondateur des Debunkers, sous son pseudonyme Sutter Cane. Ce site a été spécifiquement créé il y a un an pour démolir intox et rumeurs venues de l’extrême droite. Celles-ci sont pourtant d’une rare ineptie : de la construction d’une mosquée aux pieds de la tour Eiffel au maire d’Avoriaz (en fait une station de ski, pas une commune) qui se fait lyncher sur le marché pour avoir refusé de servir du halal dans les cantines ; en passant par la décision de Bertrand Delanoë de supprimer les croix vertes des pharmacies à la demande d’une association (fictive), « Paris-Beurs-Cités », qui y verrait un symbole religieux offensant pour les musulmans (lire ici). A l’origine de ce dernier canular lancé « innocemment » en 2009, le site Novopress, une agence de « réinformation » proche du Bloc identitaire. (...)
« Cette utilisation des nouvelles technologies pour diffuser des idées de manières virales relève d’une stratégie délibérée de certains groupuscules, confirme le politologue Stéphane François. Là, nous avons affaire à des personnes qui sont formées, qui font de la veille sur Internet et qui « trollent » [participer de manière récurrente à une polémique en argumentant toujours de la même manière, quel que soit le sujet, ndlr] à longueur de journées. » Pour ce spécialiste de l’extrême droite, la fachosphère, comme on l’appelle sur Internet, regroupe environ deux à trois mille personnes, qu’il situe politiquement à la droite du Front National. Des groupes fluctuants, mais dont les troupes s’avèrent, d’après ses recherches, relativement stables. « Ils comblent un manque d’effectif par un militantisme accru, qui leur permet sur Internet de démultiplier leurs positions. Derrière plusieurs sites ou blogs, on retrouve souvent un même webmaster. »
Commentez et postez, il en restera toujours quelque chose (...)
Si amplification du phénomène il y a, c’est donc moins le nombre de fabricants de rumeurs qui a augmenté que celui des relais par des internautes lambda. (...)
Mais qui relaie ce type de rumeurs ? Des malveillants ou des xénophobes ? Pas seulement. Dans le lot, il y a aussi une part de crédules. « Le mécanisme d’adhésion à une rumeur dépend de ce que Michel-Louis Rouquette (Professeur en psychologie sociale, ndlr) [7] appelle l’ implication, c’est-à-dire le fait que l’on se sent plus ou moins concerné par une information ou une histoire que l’on nous raconte » (...)
A qui la faute ?
« Si les hoax racistes se partagent aussi bien, c’est parce qu’on entend des politiques, notamment à droite, particulièrement décomplexés sur le sujet. Cela permet à des gens qui adoptaient jusqu’alors un peu de retenue, de se laisser aller publiquement à des insultes racistes, dont on pensait avoir banni l’usage », remarque Nichoax. Même constat à la LDH. « Un élu qui se permet de tenir ce genre de propos, forcément cela libère la possibilité de pouvoir en faire autant », soupire Nadia Doghramadjian, du groupe de travail contre les discriminations. Même au PS, l’actuel ministre de l’Intérieur a franchement dérapé sur les roms. Des propos souvent qualifiés de maladroits, de regrettables ou de mal interprétés, mais qui sont rarement sanctionnés.
Reste le FN. Le parti de Marine Le Pen se donne beaucoup de mal pour s’offrir une respectabilité apparente, en suspendant par exemple l’une de ses candidates aux municipales qui avait comparé Christiane Taubira à un singe. Ses militants et candidats ne se privent cependant pas de relayer ou d’améliorer les rumeurs et hoax racistes qui circulent. (...)
Les candidats du FN accros aux fausses rumeurs
Les candidats locaux du FN n’hésitent pas non plus à exploiter à des fins électorales la rumeur des familles noires envoyées par la Seine-Saint-Denis avec la complicité des édiles. A Saint-Quentin (Aisne), dans un tract local que s’est procuré un journaliste de France Télévisions (lire ici), le FN assure qu’« une nouvelle population arrive à Saint-Quentin, malgré les démentis ». Dans l’Allier, Claudine Lopez, secrétaire départementale du FN, s’est illustrée en mai dernier en relayant la rumeur dans un communiqué de presse s’inquiétant d’un possible « accueil de 300 familles venues de Seine St. Denis dans le cadre d’une sorte de plan de délocalisation de population » [9]. « Toutes les rumeurs partent d’une vérité ! », s’est-elle par la suite justifiée. (...)
Et les médias dans tout ça ?
Si la classe politique a sa part de responsabilité dans la propagation des rumeurs racistes, pour Sutter Cane, des Debunkers, les médias traditionnels sont aussi coupables. « Le hoax a cette particularité d’essayer d’annihiler la capacité de réflexion en faisant appel aux sentiments. Mais les médias traditionnels font exactement la même chose. Ils nous abreuvent tellement de faits divers, que les gens prennent toutes ces histoires pour argent comptant. » Jouer sur l’émotion plus que sur la raison, c’est aussi un style d’écriture et une façon de raconter. (...)
« Nous sommes dans une société de l’émotion avec un flux d’information continue. Il faut l’alimenter tout le temps » (...)
« Le traitement médiatique de ce genre d’information est totalement inadapté, estime l’historien Emmanuel Kreis. Il y a bien des démentis, mais le contre-feu est lancé avant tout résultat d’enquête. On ne contre pas la rumeur, on ne fait que la renforcer. » Prendre le temps de ne pas réagir trop vite, c’est aussi ce à quoi aspire la LDH qui déplore cet emballement médiatique. (...)
Si chercheurs et associations souffrent de cette temporalité médiatique, l’extrême droite, à l’inverse, sait en tirer profit. (...)
Les intox et canulars à connotation raciste se multiplient. Circulant de réseaux sociaux en envois de courriels, ils sont même parfois relayés sans vérification par des médias. D’où viennent ces hoax ? Qui les fabrique ? Qui les relaie ? Pourquoi telle rumeur s’amplifie, puis s’estompe, pour mieux resurgir quelques mois plus tard ? Candidats et militants du FN en font leurs choux gras. Les sites qui, comme Hoaxbuster ou Debunkers, tentent de les démonter, s’inquiètent. « On ne peut rien faire, il y en a trop », s’alarme de son côté la Ligue des droits de l’Homme. Enquête. (...)
« L’information vient de tomber : une petite mosquée sera finalement construite au 1er étage de la Tour Eiffel. » La rumeur a tourné sur la toile à l’approche des élections présidentielles. C’est un hoax : un terme utilisé pour désigner un canular, une fausse information ou une rumeur infondée. C’est loin d’être le seul ou le premier du genre. Certains ont l’apparence d’une lettre, d’autres d’un témoignage, d’un article de presse ou même d’une photo truquée. Peu importe le support employé, la finalité ici est la même : nourrir le racisme, la xénophobie, l’islamophobie ou l’antisémitisme. Impossible de tous les recenser, ni de mesurer précisément le phénomène.
Aucune instance n’a de chiffres à communiquer. « Un phénomène insaisissable », s’excusent les services de presse des institutions chargées de lutter contre les contenus racistes ou des plate-formes qui permettent aux internautes de les signaler [1]. Aucun n’a de chiffres ni même un début d’analyse sur l’ampleur et la circulation de ces hoax. « La rumeur raciste sur Internet est un bon terrain d’étude, mais il est très compliqué de savoir comment elles se diffusent, comment les gens les consomment, leur degré d’importance, observe l’historien Emmanuel Kreis, auteur des Puissances de l’ombre [2]. On sait que ce n’est pas anodin, que cela a un effet relativement large, mais pour autant très difficile à quantifier et à modéliser. » (...)