
Nous ne combattons pas les inondations, nous les provoquons. Par inconscience, aveuglement, primat de la croissance à tout prix, appât du gain... Ce qui conduit au refus catégorique de remettre radicalement en cause des modèles de développement et d’aménagement du territoire qui rendent les désastres inévitables. Combien de temps encore, somnambules, allons-nous continuer à danser sur le volcan ?
a farandole des chiffres donne le tournis. En quelques jours à peine, 6,10 mètres de crue de la Seine enregistrée au zouave du Pont de l’Alma à Paris (pour 8,62 mètres en 1910), quatre morts, vingt-quatre blessés, 782 communes sinistrées dans 16 départements, 25 000 personnes déplacées dans le Loiret, en Indre-et-Loire, dans l’Essonne, en Seine-et-Marne, qui ne retrouveront pas leur domicile ou leur outil de travail avant plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Des dégâts évalués à un milliard d’euros…
“Ce n’est rien, tu le sais bien, le temps passe, ce n’est rien… (...) "
la question n’est plus de savoir si la crue centennale reviendra, mais quand. Ce pourrait être dès l’année prochaine, puisque “crue centennale” veut dire que le compteur du risque est remis à zéro chaque année. En vrai c’est pire, comme aujourd’hui les sols sont complètement saturés d’eau, pour l’année prochaine ce n’est plus une chance sur 100, mais sur 50... (...)
Ici un biais colossal. Toute la problématique inondation a été formalisée depuis un siècle par les ingénieurs-aménageurs, qui ont tranquillement oublié qu’avant 1910, si on remonte, dans le temps long, jusqu’au douzième siècle, on retrouve la trace d’innombrables événements pluvieux "hors norme" en mai et en juin...
Ainsi, une étude sur les risques futurs relatifs aux précipitations intenses et inondations, pilotée par Philippe Roudier, combine modélisation régionale du climat et modélisation hydrologique en Europe pour un scénario modeste de réchauffement global (+2 °C). Elle conclut à une forte augmentation de l’intensité des crues décennales ou centennales (voir la figure ci-dessous). Le signal s’avère très robuste : il est commun aux 11 modèles de climat et 3 modèles hydrologiques étudiés. (...)
Encore a-t-on échappé au pire, çà personne ne l’a raconté. Il y a quatre ans, en plein été, le lac de Pannecière, l’un des quatre grands lacs réservoirs dont on a beaucoup parlé, était vide. Il avait été vidé pour être curé, un peu beaucoup réparés surtout ses équipements (en vrai gravement déglingués…), et consolidée sa digue. Comme les travaux n’ont pas été de tout repos, doux euphémisme, çà a traîné en longueur. D’ailleurs le barrage était toujours en travaux l’an dernier...
Incroyable coup de chance. C’était l’été il y quatre ans, ça aurait pu, aussi bien, être cet été. Les travaux auraient pareillement déconné, et donc impossible de le remettre en eau d’un jour à l’autre. On est donc passé tout près du vrai désastre. Complètement par hasard.
Et maintenant ? Maintenant rien. Les quatre barrages-réservoirs édifiés en amont de Paris stockent donc 850 millions de m3 d’eau. Depuis 20 ans on projette d’en construire un cinquième en Seine-et-Marne, à La Bassée. Il coûterait au minimum 500 millions d’euros, et permettrait de stocker 50 millions de m3 supplémentaires. Depuis 20 ans toutes les autorités concernées, toutes, sous tous les gouvernements, s’écharpent et ne font rien. Au demeurant, s’il était construit, n’écréterait-il que quelques centimètres de crue. Dérisoire.
Tout juste vient-on de décider, après vingt ans de vaines palabres, de commencer à construire un petit “casier expérimental”. Les travaux pourraient débuter… en 2023. (...)
Un “aménagement” du territoire ravageur
A rebours du refrain fatalité-compassion qui a tout recouvert une semaine durant, force est de constater que tout cela est parfaitement prévisible, rançon de plus d’un demi-siècle de dévastation de la nature, rupture de ses équilibres et rythmes naturels, pratiques agricoles ravageuses, et surtout politiques d’aménagement du territoire et de l’urbanisme aux conséquences dévastatrices.
On nous répète à l’envi depuis des lustres que la France perd l’équivalent en terres agricoles de la surface d’un département tous les dix ans… On a vu se transformer le bocage, avec ses haies et ses canaux d’évacuation séparant les petites parcelles, en immenses étendues satisfaisant aux conditions d’agriculture intensive que souhaite l’industrie agro-alimentaire.
Il faudrait aussi d’urgence reboiser des pans de collines ou de montagnes pour arrêter les torrents d’eau et de boue qui les dévalent. Qui y songe ?
Pour le reste, remembrement, drainage, destruction des sols, disparition des zones humides, ont transformé les terres agricoles, celles des grandes exploitations désormais dominantes, en sols stériles qui ont perdu leur humus et les micro-organismes qui les font vivre. Des sols morts, endurcis, dans lesquels l’eau ne s’infiltre plus.
Et les rivières ? Hier des organismes vivants qui sortaient parfois de leur lit, noyant les champs alentours quand leur flux s’emballait, puis refluaient, allaient, venaient, zigzaguaient…
Ruisseaux, rivières et fleuves ont été chenalisés, bétonnés, enterrés.
Les zones humides ont été éradiquées.
Les champs d’expansion des crues viabilisés, aménagés, urbanisés… (...)
In fine, ce qui a surtout émergé au fil du temps c’est la "culture du risque pour éviter les dégâts", ce qui revient à dire qu’on ne changera rien aux pratiques qui sont à l’origine de l’aggravation du risque d’inondation, mais que l’on va tenter d’en limiter les effets dévastateurs.
Déni de la réalité, évitement, et bottage en touche vers la "résilience", ce qui ouvre la voie à la poursuite du retrait de l’Etat de ses missions régaliennes, au bénéfice d’une montée en puissance d’une logique purement assurantielle...
Ne restera alors plus qu’à "anticiper la gestion des déchets issus de catastrophes naturelles", et la boucle sera bouclée... (...)