
À Athènes, et plus généralement au sud de la Grèce, c’est le moment des premières floraisons. Temps doux, bourgeons du moment, autant que cette autre... renaissance naturelle, celle des rassemblements contestataires massifs face au pouvoir en place. C’est vrai que la ville d’Athènes n’avait pas connu un tel rassemblement populaire comme celui qui s’est tenu dimanche dernier et qui a rassemblé près de 600.000 personnes, depuis bien longtemps. Printemps des... peuples ?
Ce rassemblement, faisant suite à celui de Thessalonique, comme je le soulignais dans mon article sur ce blog du 28 janvier dernier, cristallise dans la forme déjà, l’opposition à la réouverture des négociations entre la Grèce et la Macédoine slave, et surtout à l’utilisation par cette dernière du nom historique de “Macédoine”. Autrement-dit, l’ex-République Yougoslave de Macédoine, et c’est au sujet de sa désignation définitive officielle (et ainsi enfin acceptée par les deux pays).
Sur l’histoire complexe de l’affaire macédonienne, les lecteurs du blog peuvent également lire l’analyse complète et argumentée (sur le site de LVSL) de mon ami historien et écrivain Olivier Delorme, publiée ce même jour (7 février 2018).
Dans les faits, il s’agit d’un très grand rassemblement populaire, dont les composantes patriotique et identitaire, dominaient essentiellement, ce fut autant et surtout une manière de défendre une certaine (et ultime ?) dignité piétinée depuis les années des mémoranda, et surtout depuis la trahison SYRIZA.
Peuple alors pathétique et plutôt de droite (comme autant celui de l’Église Orthodoxe), car la gauche ne mobilise plus comme on sait depuis 2015. Le tout, lorsque l’orateur principal du rassemblement était Míkis Theodorakis, mondialement connu pour ses engagements (non exhaustifs) à gauche, ancien élu communiste... mais également sporadique élu du parti de la Nouvelle Démocratie (droite), et même ministre (certes un peu cosmétique) au gouvernement de Konstantinos Mitsotakis (Nouvelle Démocratie) dans les années 1990. (...)
La société grecque étant acculée, par conséquent, elle ne raisonnera (et résonnera) désormais qu’en termes identitaires, les enquêtes et autres sondages d’opinion démontrent que pour plus de 70% des personnes interrogées, “les organisateurs du rassemblement ont raison dans leurs positions soutenues”, et par ailleurs, les institutions auxquelles les Grecs font davantage confiance sont d’abord l’Armée et en ensuite l’Église, tandis que les partis, les syndicats, l’Assemblée nationale, les élus, arrivent très loin derrière.
D’après les reportages du moment (radio 90.1 FM du 6 février 2018 entre autres), la présence masculine dimanche dernier à Athènes, frôlait les deux tiers des participants, tandis que la même proportion lors du mouvement dit des Places et/ou des Indignés de 2011, avait été différente et plus équilibrée : une présence à 55% masculine et à 45% féminine. De même, le public plus proche de l’âge mûr (voire très mûr) dimanche dernier avait été majoritaire, voilà pour certaines données déjà mesurables.
Voilà donc pour la sociologie et ainsi démographie de ce 4 février 2018 à Athènes. Masculinité, militaires actifs et à la retraite très visiblement représentés, élus de la Nouvelle Démocratie également (pourtant par ailleurs mémorandistes), puis, des orateurs aux propos forts, tel le constitutionnaliste Yórgos Kasimatis pour qui : “Il y a une décision politique qui consiste à offrir notre identité à des étrangers. Ce nom (Macédoine) après la deuxième guerre mondiale, avait été offert tel une friandise au peuple de Skopje par Tito, ceci, pour que la Yougoslavie puisse un jour... revendiquer en son sein l’ensemble de la Macédoine (géographique). Aujourd’hui, toute la Grèce se retrouve présente ici pour ce rassemblement. Même ceux qui ne peuvent pas agir en notre sens, ils sont pourtant d’accord avec nous. C’est enfin aujourd’hui la première fois que l’article 120 de notre Constitution enfin s’applique-t-il.” (...)
“C’est notre réponse du ‘NON’, lorsqu’en face, nous avons des gouvernements qui disent ‘OUI’ à l’esclavage et cela dure depuis 2010. Aujourd’hui, le peuple grec prend le contrôle de sa souveraineté. La Grèce est ici présente et entière pour ne pas céder la moindre terre grecque aux étrangers. Car l’ensemble du pays est en ce moment sous le point d’être vendu, cédée. " (...)
La veille du rassemblement, un slogan revendiqué comme anarchiste, avait été apposé sur une façade de la maison de Míkis Theodorakis : “Ton histoire commence à la montagne des résistants (de gauche en 1941-1944), pour finir dans la gadoue nationale de la Place de la Constitution.” “J’ai toujours combattu toute forme de fascisme, et en ce moment, le fascisme le plus dangereux est gauchisant car venu des Syriziste”, a-t-il répondu Theodorakis depuis la Place de la Constitution le lendemain. Non sans une certaine... moquerie, le député (néonazi) de l’Aube Dorée Ilías Kassidiáris a ainsi twitté : “Míkis (Theodorakis) a débuté (sa vie politique) au sein de l’EON, organisation de la jeunesse du régime du Général Metaxás (1936-1941), pour ainsi la boucler ici même sur la Place de la Constitution, aux côtés des patriotes et des nationalistes. Toutes ses autres positions politiques intermédiaires peuvent être effacées”, “Quotidien des Rédacteurs” du 4 février 2018 . (...)
L’Aube Dorée croit sans doute reboire du petit lait (comme... du petit peuple), sauf que c’est très probablement d’un lait alors caillé qu’il s’agit. Un grand vide politique identitaire serait pourtant en gestation en vue d’accoucher (ou pas) à... une nouvelle souris (de droite cette fois-ci), à la manière de la souris SYRIZA à gauche... au résultat ainsi acquis on dirait.
Cela dit, ce regain populaire (visiblement) organisé (et/ou récupéré) n’est pas tout à fait spontané, telle est mon intuition disons ethnographique d’après mon vécu de tant d’années (déjà) mémorandaires, métapolitiques et para-démocratiques. (...)
Je ne possède pas... (toutes !) les qualités de l’oracle de Delphes, sauf que je respire suffisamment l’air du temps (mauvais), pour savoir que très probablement le vide politique laissé depuis la trahison SYRIZA, un vide souverainiste existe bel et bien, de droite (si l’on se base sur la classification du siècle qui est déjà bien derrière nous), et que ce vide ne peut pas ne pas être en quelque sorte “travaillé” par les tenants du vrai pouvoir. Ce qui n’exclurait pas un certain et potentiel “accident” dans l’événementialité supposée acquise... tout comme requise, comme parfois lorsque les peuples montent sur le devant de la scène... pour aussitôt s’éclipser (ou se faire trahir par la suite).
En tout état de cause, ce qui est ressenti à travers les convulsions de la société grecque, c’est comme une forme de “culture de guerre” à visage à peine couvert. (...)
Cette culture de guerre larvée, elle est d’abord et principalement tournée vers l’intérieur (face au personnel politique, face à d’autres catégories de la population). Ensuite, exprimée vers l’extérieur par la primauté entre autres d’un discours identitaire, surtout défensif devant l’occupation troïkanne que la Grèce connait depuis 2010 (accentuée depuis SYRIZA/ANEL), devant aussi ce qui est considéré comme de l’usurpation de l’identité et de la culture helléniques (par les voisins de la Macédoine slave), et autant face à une menace explicitement formulée de la part de la Turquie sous le régime Erdogan. Situation en somme déjà assez complexe et potentiellement explosive, comme également l’admet l’éditorialiste de “Kathimeriní” du 6 février 2018 (pourtant grand quotidien systémique), évoquant “un courant puissant et incontrôlable.”
Tout le monde admettra (lorsqu’on discute sérieusement) que la Grèce aura tout intérêt à que l’État voisin de la Macédoine slave puisse se maintenir, tiraillé comme il est, entre la Bulgarie et l’Albanie, sauf qu’en plus (ou que d’emblée), la programmation actuelle géopolitique OTANesque dans les Balkans, prime sur tout le reste et que cette... programmation, ne serait pas forcément compatible avec les intérêts des peuples, ni (toujours) avec la coexistence, espérons-le pacifique entre eux. (...)
Le grand rassemblement du 4 février à Athènes a enfin déjà, et autant matérialisé cette énorme rupture entre une large partie de la population (deux tiers je dirais) et le système politique, pour ne pas dire le régime politique tout simplement. C’est également une manière que de signifier de manière comptable et palpable dans la rue, toute l’étendue du divorce ainsi forcé (et non pas à l’amiable) prononcé en 2015, entre le peuple grec et la Gauche, l’ensemble de la Gauche d’ailleurs, et non pas seulement SYRIZA. Je l’avais souligné tôt, dès juillet/août 2015, et c’est ainsi.
En l’état actuel des choses, à travers la presse et les espaces Internet des partis et mouvements de gauche en Grèce, le grand rassemblement du 4 février est tout de même synonyme de choc. Et toute une campagne de dénigrement réunissant les Syrizistes et les autres formations de la gauche en Grèce, tirent à... boulets rouges sur Míkis Theodorakis, lequel n’est pas non plus certes un intouchable, loin de là. (...)
Un supposé énorme scandale vient d’éclater à la seule initiative du “gouvernement”, comme par hasard trois jours après le rassemblement du 4 février. L’affaire ainsi nommée Novartis, met en cause un certain nombre d’hommes politiques du PASOK et de la Nouvelle Démocratie “pour corruption passive, liée à l’attribution du marché des produits vaccinaux en Grèce, cela au profit de la firme Novartis” entre 2006 et 2015 (...)
Le... dit petit peuple en rigole, du pompiste du coin à la coiffeuse de quartier à Athènes, on sait que cette affaire (vraie ou pas peu importe), s’inscrit bien dans la ligne politicarde du “gouvernement” SYRIZA/ANEL, à travers notamment son (ultime ?) tentative pour demeurer au pouvoir, si possible jusqu’aux élections législatives de l’automne 2019. Le tout, lorsque ce gouvernement qui embauche massivement des contractuels... clients politiques dans la large fonction publique en ce moment (sans visiblement de réaction de la part de Bruxelles), est un gouvernement très largement haï (et non plus seulement rejeté politiquement) par les deux tiers de la population.
La question (ou sinon... l’autre question) serait également de savoir dans quelle mesure le cercle dirigeant (et atlantiste) de SYRIZA, bénéficie ou pas de l’aval des États-Unis dans cette mise en cause de telles personnalités politiques, très européistes et germano-compatibles avérées (Samaras, Pikramménos, Avramópoulos entre autres). Nous n’avons pas de réponse (pour le moment). (...)