"Je suis placé en cellule avec 4 autres camarades interpellés. Nous demandons un matelas. ’Non, les matelas c’est pas pour les gilets jaunes’, nous signale une brigadière". Nous publions le témoignage d’un journaliste de 24 ans victime d’une scandaleuse répression pour le seul fait d’avoir couvert, à son compte, une manifestation de Gilets Jaunes.
Samedi 20 avril, Paris. Comme j’en ai pris l’habitude depuis désormais presque 6 mois à Paris et Montpellier, je rejoins la manifestation des Gilets Jaunes pour un acte 23 qui s’annonçait particulièrement tumultueux. Journaliste depuis désormais 6 ans, de mes débuts en Presse Quotidienne Régionale à la télévision, ces manifestations représentent un moyen de formation et de compréhension des mouvements sociaux. Une occasion de pouvoir produire du reportage en live mais aussi de rédiger ces reportages en qualité d’observateur personnel. Je suis engagé, certes, mais ma présence dans ces manifestations s’inscrit dans une finalité professionnelle.
Malheureusement, les choses ne se passeront pas comme prévues. Une journée qui se conclura par une interpellation, 48h de garde à vue et plus de 30h de dépôt au TGI de Paris. Je n’en ressortirai que le mercredi à 5h du matin après avoir refusé la comparution immédiate, malgré un dossier vide de preuve et totalement incohérent. (...)
16h35. Maîtrisé au sol, le visage écrasé contre le goudron et les genoux bloqués, je n’oppose aucune résistance. Le premier acte de l’humiliation commence. J’indique aux agents de la BAC être journaliste. En attente de ma carte de presse, je leur crie que ma carte d’étudiant en journalisme (ESJ Lille - ESJ Pro) est dans ma poche gauche. En voyant mon nom et prénom, les policiers hurlent alors : “C’est un YOUGO ! Hein sale Yougo, tu nous jettes des trucs ? On va te renvoyer chez toi tu vas voir !”. Par miracle, je m’en sors sans violences physiques, si ce n’est une suspicion de lésions ligamentaires au genou droit. Ma carte m’a sauvé quelque peu la mise au moment où les tonfa se dressaient en l’air. “Tu fermes ta gueule et tu baisses la tête !” Une fois emmené au fourgon des interpellés, on me notifie mon interpellation : 16H35. Le deuxième acte de l’humiliation démarre : la palpation. L’agent entreprend la fouille, à la limite de l’intimité. Au moment de me palper l’entre-jambes, celui-ci se montre un peu trop tactile, pas loin de rentrer ses mains dans mon sous-vêtement. Bref, inutile de faire un dessin : elle était plus que limite. La notification de mon placement en GAV et de mes droits ne seront fait que deux heures plus tard à la brigade des transports située rue de l’Evangile dans le XVIIIe arrondissement. Le sang ne circule plus dans mes mains en raison du serflex beaucoup trop serré. (...)
Conscient de mon innocence, je crois naïvement que je sortirai le lendemain matin. Je ne prends pas d’avocat ni de coup de téléphone. Je coopère et, me référant à la loi anti-casseur mise en application quelques jours auparavant, reconnais une dissimulation du visage en ayant un masque de protection contre les gaz lacrymogènes. On me reproche les trois chefs d’inculpation suivants :
– Participation à un groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations
– Dissimulation volontaire du visage
– Violences volontaires envers personne dépositaire de l’autorité publique
Je nie en revanche la participation à un groupement ainsi que les violences volontaires. Je suis placé en cellule avec 4 autres camarades interpellés. (...)
La nuit passe. La relève de jour arrive. Un vrai cauchemar démarre. Insultes, maltraitance psychologique et physique… Nous n’avons pas eu droit d’aller aux toilettes pendant plus de 12h consécutives. Nous n’avons pas eu droit au repas du dimanche midi. Surprise générale à la lecture du PV où il est mentionné : “refus de s’alimenter”. Au terme des 24h, un OPJ vient me notifier ma prolongation de GAV. Problème : je ne serai plus jamais auditionné jusqu’à mon passage à la barre du tribunal, le mercredi 24 avril à 3h du matin. Je demande alors un avocat et mon coup de téléphone. Nous sommes dimanche 21 avril, 16h30. L’OPJ me demande mes observations à faire remonter au magistrat sur la prolongation. Étant de permanence JRI lundi et mardi, il est inenvisageable de ne pas être relâché. Encore une grande naïveté. Nous finissons à 9 dans une cellule sans air et dans des conditions exécrables. Le lendemain, je vois une avocate commise d’office vers 10h. Elle me signale que je vais être déféré au dépôt du TGI dans la matinée pour être jugé dans la journée. Je n’y serai conduit qu’au terme de mes 48h + 3h bonus en cellule avant mon transfert. Le grand n’importe quoi administratif se met en place. On tente de nous faire signer des pv ahurissants, les vices de procédure sont nombreux. Le bouquet final revient au brigadier qui entre dans notre cellule, vexé d’avoir été conspué suite au traitement qui nous a été réservé. “Vous êtes tous des fils de pute ! Des déchets de la société. Qui fait le beau maintenant ? Venez dehors, venez !” La machine infernale est lancée. Il est 19h30 quand je suis emmené par les brigadiers au TGI. (...)
PLUS DE 30H AU DEPOT DU TGI (...)
Je passerai 13h de plus en cellule, seul, sans la moindre information concernant mon dossier. C’est donc à 3h du matin que j’entre enfin dans la 23e chambre d’audience du TGI. Je refuse la comparution immédiate sur conseil de mon avocate. La procureure demande le contrôle judiciaire avec interdiction de paraître à Paris. Je précise alors que mon travail est à Paris, Boulogne Billancourt pour être précis et que ma ligne de RER passe obligatoirement par Paris. Le juge refuse l’interdiction. Je suis donc placé sous contrôle judiciaire avec obligation de pointage, deux fois par mois. L’audience est renvoyée au 21 mai à Paris. J’encours la peine de 5 ans d’emprisonnement et 75 000€ d’amende. (...)
AUDIENCE DU 21 MAI - 23e CHAMBRE 3 DU TGI DE PARIS – 13H30
Après un mois de préparation aux côtés de ma défense, de stress mais également de peur sur les répercussions professionnelles au sein de mon entreprise et la suite de ma carrière, je comparais donc devant le tribunal correctionnel. L’attente est interminable. Le climat particulièrement délétère. On ressent une volonté délibérée du Procureur de la République de nuire au bon déroulement des plaidoiries. La salle est même évacuée suite à une énième provocation du Ministère Public envers les avocats des prévenus, qui seront eux-mêmes exclus en pleine audience. Bref, mon heure est alors venue : il est près de 20h. Dans une ambiance particulièrement hostile, la question d’un renvoi se pose alors. Je décide d’aller jusqu’au bout et d’en finir une bonne fois pour toutes. (...)
Le dénouement est libérateur, salvateur : je suis relaxé. Le seul de la journée. Justice a été rendue. Mais au terme d’une bataille inimaginable qu’il faut réellement vivre pour en prendre toute la mesure.
Innocent, j’ai donc été victime d’une répression incroyable. Privé de ma liberté durant 83h, placé sous contrôle judiciaire, trainé dans la boue sans la moindre présomption d’innocence, humilié, sali, mes droits bafoués. La liste est loin d’être exhaustive. Ma carrière de journaliste a bien failli s’arrêter net, du jour au lendemain, menaçant notamment ma place au sein de mon entreprise. Tout ça… pour rien, fruit d’une interpellation des plus arbitraires, tel un jeu de hasard. Ce témoignage vient s’inscrire dans un contexte effrayant dans lequel la profession de journaliste évolue aujourd’hui. (...)
La liberté d’informer et le droit à l’information, pourtant inscrits dans la constitution, sont clairement menacés. Que ce serait-il passé si je n’avais pas été journaliste ? Certainement la même chose qu’à mes camarades de cellule, tous condamnés sans pourtant n’avoir commis la moindre violence. Justice a été rendue, certes. Mais à quel prix ?