
Et si le débat politique en Chine était bien plus vif qu’on ne le croit en Occident ? Et si la question de la démocratie ne préoccupait pas seulement ceux que l’on appelle les « dissidents », fort médiatisés, mais aussi de nombreux intellectuels ayant plus ou moins pignon sur rue ?
Telles sont les conclusions de la chercheuse Emilie Frenkiel (1). Au terme d’une étude approfondie, comme il n’en existait pas encore en français, elle révèle la façon dont s’est constituée et dont vit aujourd’hui la scène politique chinoise.
Bien entendu, Frenkiel ne prétend nullement que le débat peut se déployer sans entrave ; l’emprisonnement de Liu Xiaobo, animateur de la Charte 08 (pour l’instauration d’une démocratie à l’occidentale), suffirait d’ailleurs à la démentir. Mais elle souligne justement la différence de traitement entre ces dissidents déclarés, harcelés sinon persécutés, et les intellectuels critiques, plus ou moins tolérés selon les périodes. La radicalité des uns ne diminue pas la créativité des autres.
Son livre s’ouvre sur une enquête sociologique auprès d’une vingtaine d’universitaires spécialistes de la chose politique. On y découvre les stratégies déployées pour éviter de franchir la ligne rouge (qui dépend de l’humeur du moment en haut lieu). Certains préfèrent être publiés à Hongkong ou à l’étranger pour éviter toute censure ; d’autres — ou les mêmes, selon les circonstances — préfèrent ne pas écrire tout ce qu’ils pensent, mais voir leurs textes sortir en Chine. Les uns privilégient le débat académique, quand d’autres essaient de dialoguer avec le pouvoir, et même de le conseiller ; d’autres encore misent sur la société. Tous doivent composer avec les dirigeants du Parti communiste chinois (PCC), qui ont la haute main sur l’université, mais aussi avec les financeurs étrangers (fondations, organisations non gouvernementales…), qui, fatalement, orientent les sujets de recherche.
En dressant le portrait d’intellectuels engagés, l’auteure retrace le cheminement de ces élites (...)