Germaine* était à bord d’une embarcation en détresse interceptée par les garde-côtes le 20 janvier, alors que l’Ocean Viking était au large des côtes libyennes. Enceinte de presque deux mois, elle a perdu son bébé durant la traversée, après avoir été violentée par les passeurs sur le rivage.
L’Ocean Viking s’apprêtait à leur porter secours lorsque les équipes de SOS Méditerranée ont appris qu’ils avaient été interceptés par les garde-côtes libyens, mercredi 20 janvier. Une cinquantaine de migrants, repérés par les avions de reconnaissance de l’association Pilotes volontaires et de l’ONG Sea-Watch dans la matinée, ont été renvoyés à Tripoli, en Libye, et placés en détention.
« J’étais à bord de cette embarcation », confie Germaine*, assise aux côtés de Stéphane, son fiancé, dans l’un des conteneurs aménagés en abri pour les migrants secourus en mer, à bord de l’Ocean Viking. Une profonde tristesse se dégage de cette Camerounaise âgée de 25 ans, qui préfère se couvrir la tête d’une fine couverture pour rester à l’abri des regards.
« J’ai quitté mon pays sans le dire à mon fiancé. Il était parti un an plus tôt, car il était en danger au Cameroun », raconte-t-elle d’une voix usée. Germaine ne le prévient que trois semaines plus tard, lorsqu’elle rejoint le Nigeria et trouve un groupe de Camerounais pour faire la suite du trajet ensemble. « Nous étions une soixantaine. Nous sommes passés par le Niger et l’Algérie, le tout en l’espace de quatre mois. (...)
À son arrivée en Libye en décembre 2020, où Stéphane l’attend, elle et plusieurs autres membres du groupe sont « kidnappés » par un homme qui les piège en se faisant passer pour un passeur. Le groupe est enfermé dans un sous-sol, à Zaouïa, à environ 50 kilomètres à l’ouest de Tripoli, sans qu’elle puisse prévenir son compagnon.
« Le peu qu’on nous apportait comme nourriture était immangeable. On ne pouvait pas parler, on n’avait aucun droit. On subissait la torture », témoigne-t-elle, évoquant des violences physiques sur les enfants et des violences sexuelles sur les femmes (...)
Après deux semaines de détention, certains des hommes qui l’entourent parviennent à casser la porte pour s’enfuir. Les plus abîmés par la torture n’ont pas la force de s’échapper. (...)
« J’expliquais aux garde-côtes que j’étais enceinte, mais ils disaient que je mentais »
Sur le rivage, des hommes armés les frappent et leur jettent des pierres. La jeune femme reçoit plusieurs coups de fouet dans le bassin et le ventre sans avoir le temps de hurler qu’elle est enceinte. (...)
Dans la nuit, l’embarcation qui la transporte manque de faire naufrage au niveau de l’une des plateformes de pétrole libyennes, seul point de lumière et de repère au large des côtes. Germaine perd beaucoup de sang. Elle sait qu’elle est en train de perdre son bébé. Aux alentours de 8 heures ce mercredi-là, l’Ocean Viking est alerté par l’Alarm Phone, une plateforme recevant les signalements de migrants en détresse en mer.
Le navire humanitaire se dirige vers le canot pneumatique lorsqu’il apprend, par le biais de Pilotes volontaires et de l’ONG Sea-Watch dont les avions de reconnaissance survolaient la zone, que les migrants ont été interceptés par les garde-côtes libyens. « Tout est allé très vite, raconte Germaine. Je leur expliquais que j’étais enceinte et qu’il y avait un problème, mais ils disaient que je mentais et que j’avais simplement mes règles. » Son récit est ponctué de silences, que son fiancé comble parfois pour la soulager. (...)
« À l’hôpital, ils m’ont laissée baigner dans mon sang de 11 heures à 19 heures sans s’occuper de moi », souffle la jeune femme, qui parvient à alerter son fiancé de sa situation dans la soirée. Celui-ci envoie quelqu’un les récupérer en voiture le lendemain à l’aube.
Ils retentent tous les trois la traversée, sans avoir à payer une nouvelle fois, à bord de la même embarcation, jeudi 21 janvier au soir. Et sont secourus par l’Ocean Viking le lendemain matin. « Ici, l’équipe médicale m’a prise en charge, m’a fait une échographie et m’a donné des médicaments. Ça fait du bien », dit-elle dans un premier sourire timide. (...)
Peu importe le pays qui les accueillera, Germaine et Stéphane aspirent à pouvoir démarrer une nouvelle vie et trouver un emploi dans leur domaine. Elle est aide-soignante, lui informaticien. « On espère aussi que l’Ocean Viking pourra poursuivre ses sauvetages pour aider nos frères restés en Libye », conclut Stéphane.