
Du 7 mai au 8 juillet, nous avons étudié de manière exhaustive les reportages et les directs que le 20h de France 2 a consacrés à la situation en Israël et dans les territoires palestiniens. De dépolitisation en désinformation, on y observe une couverture au rabais, usant quasi méthodiquement des biais traditionnels en la matière (auxquels nous avons consacré notre première émission sur Radio Cause Commune).
Un peu de bruit puis presque rien
Mais cette focale médiatique de quelques jours ne saurait faire illusion. D’abord et avant tout, parce qu’elle n’est précisément qu’une focale. Une loupe grossissante, qui circonscrit la couverture médiatique dans le temps… militaire, soit l’un des biais ordinaires de l’information sur cette région (comme sur bien d’autres). Sur les 17 reportages recensés entre le 7 et le 29 mai, 13 (soit plus des trois quarts) ont en effet été réalisés entre le 11 et le 21 mai : la première date correspond aux premiers tirs de roquettes depuis la bande de Gaza et la seconde, au « cessez-le-feu ». Idem pour les directs, dont 3 sur les 5 ont été réalisés entre le 11 et le 21 mai.
Et depuis (du 30 mai au 8 juillet), le 20h de France 2 n’a livré que deux sujets sur la région (...)
Un classique : une fois un « cessez-le-feu » signé, le 20h – à l’image de la plupart des grands médias audiovisuels – se désintéresse de la région, comme si le « conflit » n’existait plus, comme si « le calme » était « revenu ». France 2 ne proclamait-elle pas, le 15 mai, avec une ironie involontaire : « Un conflit historique qui resurgit aujourd’hui ». Ce n’est pas le conflit qui « resurgit », mais bien son traitement médiatique qui se réveille, au bruit des tirs de roquettes et des bombardements.
Reste que sur cette chaîne, depuis le 21 mai, les Palestiniens ont à nouveau disparu des radars… ou presque. Le 29 mai, Thomas Sotto hasardait une brève, sorte de virgule entre la fête des mères et les manifestations en Colombie, dont le service public aurait pu se passer :
Quelques images d’insouciance, qui contrastent avec celles de guerre qu’on vous montrait il y a quelques jours encore là-bas. Regardez, c’est à Gaza ! Gaza, où les familles, les enfants se sont rués à la plage aujourd’hui encore. Vous le voyez, il y avait vraiment beaucoup beaucoup de monde, un peu de joie aussi, et je crois qu’il y avait même, vous allez le voir après cette scène de foule, un âne qui était en train de se rafraichir. Le voilà ! Les armes se sont à peu près tues dans la région depuis le 21 mai. 21 mai, date du cessez-le-feu observé aussi bien par les Israéliens que par les activistes du Hamas.
Quand l’indigence de l’information confine à l’indécence… Car de sujets anecdotiques en coups de projecteurs « militaires », France 2 peut se prévaloir d’images jugées « télégéniques » parfois captées par des drones, mais laisse l’information sur le bas-côté. À ne médiatiser que les événements « spectaculaires » (entendre roquettes et bombardement) – seuls à même de constituer une « actualité » – l’information est en effet amputée, et le public, privé d’éléments majeurs de compréhension des réalités sociales et politiques dans la région. (...)
Mais France 2 regarde ailleurs, et n’évoquera pas le bilan fourni le 23 mai par le Bureau de coordination humanitaire des Nations Unies : 242 Gazaouis tués, mais également « l’endommagement » par les bombardements de « 53 écoles […], 6 hôpitaux, 11 centres de soins de santé primaires et le laboratoire central d’analyse Covid-19, […] cinq des dix lignes électriques. » (...)
L’obsession de « l’équilibre »
Et quand France 2 parle du conflit, elle dépolitise l’information en reproduisant les biais que nous constatons régulièrement [3], comme le montre le contenu des 17 reportages étudiés [4].
Les reportages « à chaud » suivent, dans l’ensemble, le même schéma narratif. Dans un premier temps, le reportage montre les violences d’un « camp » contre l’autre, puis dans une deuxième partie, explique que ce deuxième « camp » est aussi responsable de violences. Le JT se limite donc à évoquer des « affrontements » – l’expression revient dans 7 reportages – constituant une flambée de « violence » à laquelle chaque « camp » contribuerait à parts égales, comme le suggère le lexique journalistique consacré, et désormais quasi automatique (...)
Autant de tournures qui neutralisent les rapports de force, par souci d’équilibrer une situation qui, pourtant, est loin de l’être : rappelons une énième fois que « s’il existe bien un "conflit" opposant deux "parties", nul ne doit oublier que ses acteurs sont, d’une part, un État indépendant et souverain, reconnu internationalement, doté d’institutions stables, d’une armée moderne et suréquipée et, de l’autre, un peuple vivant sous occupation et/ou en exil, sans souveraineté et sans institutions réellement stables et autonomes. »
Mais France 2 préfère ne pas voir la différence entre des roquettes et des bombardements, et présenter les seconds comme des « répliques » ou une « riposte » aux premières. (...)
À force de tordre le réel à la recherche d’un impossible équilibre, France 2 parvient même à inverser les rapports de force, comme dans ce remarquable extrait d’un « sujet d’analyse » diffusé le 15 mai :
Déjà 3 guerres contre le Hamas à [l’] actif [de Benjamin Netanyahu]. Résultat : une pluie de roquettes tirée depuis Gaza sur des zones civiles. En réponse, des frappes de l’armée israélienne sur l’enclave palestinienne. Comment ce si petit territoire soumis à un blocus parvient-il à menacer l’État hébreu ? Le Hamas peut compter sur le soutien d’alliés dans la région, l’expertise et la technologie de l’Iran, le Qatar pour l’aide humanitaire et les financements. Mais il a surtout développé un savoir-faire militaire pour fabriquer ses propres armes.
Et plus Gaza compte ses morts, plus cet « équilibre » pèse sur l’information. (...)
Le 16 mai, un sujet est intitulé « Israël-Palestine : un déluge de feu continue de s’abattre sur les populations ». « Les populations » ? Le 16 mai, 42 Palestiniens sont en effet tués par les bombardements – mais pas un blessé israélien ne sera recensé, comme nous l’apprend France 2 elle-même, qui reste sur une transition des plus classiques (« Le Hamas, qui lui aussi attaque avec ses tirs de roquettes sur Israël », « 3000 […] lancées sur l’État hébreu ces 6 derniers jours ») avant de partager à égalité le temps d’antenne, comme de coutume, entre les ravages des bombardements sur Gaza et la « terreur des civils » israéliens. Le clou de « l’équilibre », que Delahousse enfonce en conclusion : « Alors où sont les espoirs d’apaisement ? Les hommes de bonne volonté ont-ils encore une voix face à la radicalisation ? » Mais de quelle « radicalisation » parle-t-on ?
Et nous ne commenterons pas davantage l’exploitation « esthétique » des dits « affrontements » par une rédaction manifestement aveugle à son propre cynisme… Ainsi du sujet « Photo Hebdo », diffusé dans le JT du 14 mai (...)
Les « affrontements », ou comment minimiser la violence de l’agresseur
Même cause, mêmes effets dans les sujets qui traitent de la répression des manifestations à Jérusalem entre le 8 et le 10 mai. Là encore, France 2 préfère parler de « violents heurts entre des Palestiniens et la police israélienne » (8/05) ou pire… d’« affrontements entre Israéliens et Palestiniens » (10/05), en faisant tout simplement disparaître la police ! (...)
Il faudra en effet chercher du côté de la presse [5] pour obtenir des témoignages de manifestants (France 2 n’en rapporte strictement aucun). Et pour comprendre qu’entre le 8 et le 10 mai, la police israélienne n’a pas « répliqué » ni « investi les lieux », mais livré de véritables assauts pour réprimer les manifestants, en ayant « envahi les lieux » et la mosquée dans un « fracas de tirs » (Le Figaro, 10 mai). Il faudra également chercher du côté de la presse pour en apprendre davantage sur les « balles en caoutchouc » évoquées par Maryse Burgot : des balles en métal, recouvertes d’une fine pellicule en caoutchouc, comme le précise Jean-Pierre Filiu sur son blog du Monde (16/05) : « En cas de tir en pleine tête, les blessures peuvent être irréversibles, voire mortelles. »
L’obsession de l’équilibre impacte aussi le traitement des violences entre les civils : seules seront rapportées des informations susceptibles de pouvoir être traitées « en miroir ». (...)
Pour France 2, et pour tant d’autres, « la violence » au Proche-Orient ressemble à un phénomène météorologique qui, avec une périodicité « cyclique », apparaît et saisit « les populations » de la région, avant de disparaître. Pas tout à fait cependant : il « gangrène les esprits les plus jeunes », comme le raconte une journaliste sur fond d’images de manifestations, montrant des enfants palestiniens jetant des pierres à Hébron (14/05)…
À suivre...