
Des femmes sont poursuivies parce qu’elles ont refusé de présenter à leur ex-conjoint leur enfant, après que celui-ci a révélé avoir subi des violences incestueuses. Souvent jugées manipulatrices, elles mènent un combat de longue haleine pour faire entendre leur voix et celle de leur enfant face à celle du père.
(...) Basculer dans l’illégalité pour protéger son enfant : Hélène n’est pas la seule à faire ce choix. D’autres parents agissent de la même façon, même si chaque affaire est spécifique. Des pères sont concernés, mais ce sont, en majorité, des mères, qui se désignent comme "désenfantées" ou "protectrices". La Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) assure, dans un avis rendu le 27 octobre 2021, que depuis son installation, elle a été "alertée" par "des centaines" d’entre elles. Des militantes féministes se mobilisent pour dénoncer ces situations, comme les Femen, qui ont manifesté devant le ministère de la Justice dimanche 4 juin. (...)
Selon la Ciivise, ces mères sont "suspectées de manipuler leur enfant pour nuire à leur conjoint, en les accusant d’inceste, le plus souvent dans le contexte d’une séparation". "Les mères se trouvent devant une injonction paradoxale : elles sont complices si elles ne dénoncent pas les violences, mais quand elles le font, on dit qu’elles sont manipulatrices", résume Edouard Durand, qui copréside la Ciivise après avoir été juge des enfants pendant plusieurs années. D’après les données les plus récentes transmises à franceinfo par le ministère de la Justice, 718 personnes ont été condamnées définitivement pour non-représentation d’enfant en 2021. Parmi elles, 81% étaient des femmes.
"Le premier réflexe de la justice est de se méfier de la mère" (...)
"Je préfère prendre un risque pour moi plutôt que pour elle."
Hélène, mère jugée en appel pour non-représentation d’enfant, à franceinfo (...)
"Faut-il servir l’enfant sur un plateau au père ou le protéger malgré la loi ? C’est le dilemme pour ces femmes", estime Christine Cerrada, avocate référente de l’association L’Enfance au cœur, qui raconte l’histoire de quatre d’entre elles dans Placements abusifs d"enfants, une justice sous influences (Michalon, 2023). "Et lorsqu’elles sont au pied du mur, les mamans fuient, ce qui n’est jamais une solution et est très grave sur le plan judiciaire", poursuit l’avocate. Les femmes qui partent avec leur enfant risquent jusqu’à 45 000 euros d’amende et trois ans de prison.
"Il m’était viscéralement impossible d’obéir à cette décision" (...)
Une bataille autour du "syndrome d’aliénation parentale" (...)
l’affaire d’Outreau a eu de graves conséquences sur la "crédibilité" de la parole de l’enfant : "Elle empêche de dire qu’un enfant ne ment pas." Pourtant, les fausses allégations de violences sexuelles sont marginales, comme en témoignent les études qui existent sur le sujet. (...)
L’autre explication, que Flavia Remo soutient, avec d’autres spécialistes des traumatismes chez l’enfant, tient à la propagation de la notion de "syndrome d’aliénation parentale" (SAP). "La théorie de l’agresseur, qui, pour se défendre, dit que l’enfant est manipulé par la mère, trouve un écho auprès de certaines institutions, qui se laissent convaincre", estime Pauline Rongier, avocate d’une cinquantaine de "mamans protectrices".
Forgée par Richard Gardner dans les années 1980, cette notion conceptualise le fait qu’un enfant dénigre l’un de ses parents sous l’emprise de l’autre, surtout s’ils sont séparés. Dans ce contexte, le psychiatre américain considère que toute révélation d’un enfant sur une agression sexuelle est fausse. Des pédopsychiatres, tels que Maurice Berger, jugent ce "concept dangereux" et rappellent que Richard Gardner fait l’apologie de la pédophilie dans ses ouvrages. (...)
"La non-considération de la parole de l’enfant, c’est ultraviolent"
C’est la situation que vit Sylvie*. Malgré les révélations de sa fille Zoé* alors qu’elle avait à peine 3 ans, une juge aux affaires familiales a ordonné un transfert de résidence chez le père depuis la rentrée. (...)
Cette fois, Sylvie applique la décision de justice. "Je vois Zoé un week-end sur deux et pendant les vacances. Elle me dit : ’maman, c’est la maison de la souffrance chez mon père’", se désespère cette femme. "La non-considération de la parole de l’enfant, c’est ultraviolent", parvient-elle à articuler au téléphone. Elle se bat pour récupérer la garde, alors qu’une instruction est en cours sur les soupçons de violences sexuelles incestueuses, à la suite d’une plainte avec constitution de partie civile. Des accusations démenties par son ex-conjoint, dont l’avocate n’a pas donné suite à nos demandes.
L’"état de nécessité" reconnu par la justice
Néanmoins, l’intérêt de l’enfant est "le principe cardinal qui doit guider" les décisions des juges aux affaires familiales (JAF), rappelle le site officiel Vie publique. "On se place de son côté", assure Jérémy Forst, JAF à Pau et élu au conseil national de l’Union syndicale de la magistrature (USM). En particulier quand "l’enfant sert d’instrument dans un conflit d’adultes", souligne-t-il. (...)
Aujourd’hui, la Ciivise veut aller plus loin. Elle préconise de suspendre "l’autorité parentale et les droits de visite et d’hébergement du parent poursuivi pour viol ou agression sexuelle incestueuse". Dans ces situations, la Ciivise appelle aussi à "suspendre les poursuites pénales pour non-représentation d’enfants". Autant de recommandations reprises dans une circulaire en février 2022 (en PDF), tandis qu’un décret de novembre 2021 permet au procureur de vérifier si le parent mis en cause pour non-représentation d’enfant agit "par état de nécessité". Ce motif a, par exemple, été retenu à Mulhouse, où le tribunal correctionnel a relaxé, le 12 mai, une femme poursuivie alors que ses enfants dénonçaient des violences incestueuses. (...)