Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Acrimed
Je n’avais pas signé pour ce journalisme web
Article mis en ligne le 21 janvier 2013
dernière modification le 17 janvier 2013

(...) avant de rejouer la querelle des Anciens et des Modernes, il serait bon de se pencher sur ce qu’est réellement le journalisme web. Voici comment nous travaillons VRAIMENT tous les jours.

(...) Le marché du travail, ce n’est pas la fête quand on est journaliste ces jours-ci.

Quand je suis entré en école de journalisme, j’avais l’espoir de devenir grand reporter, de filmer les guerres. Nous étions plusieurs à dire ça… des rêves de gosses. Bien vite, ceux qui assuraient notre formation – des journalistes avec des années et des années d’expérience – nous ont expliqué qu’il y avait peu d’élus : “ll faut être passionné.”. Et chaque année, avec environ 40 personnes diplômées dans les 13 écoles reconnues par la profession, ce sont plus de 400 journalistes qui entrent sur le marché du travail.

A ma sortie de l’école, tout le monde ne parlait que de web (...)

C’était soit “l’avenir”, soit le “tout-à-l’égout de la démocratie”. (...)

que se passe-t-il aujourd’hui dans les rédactions web ? Plus de dix ans après la création des sites de presse, pas mal de journalistes web en ont marre du boulot qu’ils effectuent chaque jour. Et pourtant, ils aiment internet. (...)

Aujourd’hui, la presse en ligne n’a pas vraiment trouvé son modèle économique. Et ça commence à faire un moment qu’elle le cherche, maintenant. Au point que certains éditeurs de presse veulent créer un “droit voisin numérique” (ou taxe google) qui consiste à demander de l’argent au géant américain en échange des liens vers les articles des sites d’info qui nourrissent le moteur de recherche. Faire payer des liens, mouahahahaha. Faites d’abord payer à Google des impôts sur leurs bénéfices en France, et après on voit. (...)

La plupart des sites d’infos généralistes recherchent le clic car les revenus publicitaires dépendent de cela. LE CLIC ET LES CHIFFRES, LES CHIFFRES, LES CHIFFRES. Or la pub est à des prix tellement bas sur internet que la plupart de ces sites ne sont même pas à l’équilibre. Mediapart s’est distingué en mettant en place des abonnements, le New York Times a créé un “mur payant” (une limite de papiers après laquelle il faut payer) et Buzzfeed, le modèle qui a notamment inspiré Melty et Minutebuzz, aide les marques à “parler le langage du web” pour gagner de l’argent.

J’ai de l’estime pour le travail des journalistes de Mediapart, mais hormis pour quelques infographies et expériences de data journalisme, font-ils du véritablement du journalisme web ? Ne font-ils pas plutôt du journalisme papier diffusé sur le web ? (...)

Un journaliste web d’un site d’info généraliste traite et enrichit de la dépêche, et publie entre 1 et 7 papiers par jour : il est là pour produire toujours plus de contenus. Seulement, laissez-moi vous dire qu’après avoir édité quatre dépêches, rédigé trois articles à partir de liens (“vigies“, “lu, vu, entendu“, “vus sur le web”) et torché un papier en deux heures, on a pas toujours le sentiment d’apporter une information originale au lecteur. Surtout quand tous les concurrents ont la MÊME info. Les rédactions où l’on vous donne le temps d’enquêter sont de plus en plus rares  : Mediapart le fait, Rue89 a mis en place un pôle investigation, Le Monde a les moyens pour laisser travailler les journalistes et les effectifs grandissants permettent de partir en reportage. (...)

beaucoup de sites (Le Point, 20minutes.fr, le Nouvelobs.com) publient les dépêches des principales agences de presse brutes, sans editing et signées par l’AFP ou Reuters. (...)

Google a changé le journalisme sur Internet : les sites dépendent pour beaucoup du trafic et savent que la plus grande part de leur audience vient du moteur de recherche. L’important est ainsi de titrer un papier avec les bons mots-clés, de publier des articles qui sont susceptibles d’être référencés par Google, et d’être repéré par l’algorithme qui mettra un article dans la page Google actualités (et le plus haut possible sur la page). (...)

Surveiller sans cesse l’article le plus lu sur le site à la minute près est encouragé, via des outils comme Xiti ou Chartbeat. Plutôt que d’être félicité par un rédac-chef parce que mon papier a été beaucoup lu (des gens lisent tous les jours, merci chef), je préfèrerais plutôt être félicité parce que j’ai bien enquêté (sans que les deux ne soient incompatibles). (...)

Le modèle économique semble donc tellement difficile à trouver qu’on se demande où les sites de presse vont s’arrêter avant de devenir des fermes de contenus. (...)

Les réseaux sociaux ont aussi modifié la journée d’un journaliste web  : il faut être en veille permanente. Certes, ces outils sont utiles, ce sont des sources inépuisables d’infos et je suis bien content d’y passer du temps, mais les formats qui en découlent le sont-ils tous ? (...)

pour motiver les troupes qui s’éclatent au quotidien, les contrats sont toujours plus précaires et les stagiaires occupent parfois des postes qui devraient faire l’objet de CDD ou CDI. C’est bien utile dans les rédactions web qui publient de plus en plus d’articles et qui ont besoin de petites mains.

Des échos que j’ai ici ou là, ce n’est pas plus réjouissant pour les pigistes qui ne trouvent pas autant de piges qu’à une époque. Les contrats sont de plus en plus précaires (...)

Je connais peu de journalistes web ayant commencé il y a 5, 6 ans qui ne soient pas déçus par certains aspects de leur boulot. Certains ont quitté le web, d’autres ont déjà quitté le journalisme. Ok, tout n’était pas stimulant non plus pour les journalistes en presse régionale ou de certaines radios il y a 20 ans. Eric Mettout (à L’Express) l’avait souligné quand Xavier Ternisien évoquait les “forçats” pour qualifier les journalistes web dans Le Monde en 2009. (...)

Sous couvert d’une ouverture des rédactions aux lecteurs, aux internautes, les médias ont compris que laisser la parole aux internautes permet d’apporter toujours plus de contenus : commentaires, photos, vidéos, billets de blogs, contributions. Un internaute qui commente est un internaute qui revient et donc qui clique. Un journaliste, un expert pourront aussi contribuer ponctuellement et gratuitement, on leur dira que “c’est bon pour leur visibilité” (et LES CHIFFRES du site aussi). (...)

Jusqu’au dérapage : le jour où Jean Dujardin meurt (mais en fait non) selon Le Post.fr (en non vérifié). Et Le Plus publie un billet à propos d’une publicité évoquant “cette grosse qui remue me révulse” après une campagne très débattue sur le web. Deux articles, parmi d’autres, qui seront supprimés après publication. (...)

J’aime être journaliste. Ce métier est en train d’évoluer et ça m’éclate d’assister à ça. Mais bordel, j’en ai marre que beaucoup de rédactions publient des papiers qui se ressemblent, que les journalistes restent derrière leur ordinateur, rivés à leur bureau, qu’il n’y ait pas d’argent pour le web, que les idées soient développées timidement et que la seule chose qui compte soit les chiffres, la quantité, peu importe le contenu publié, “ça buzze sur les réseaux”. (...)

Je me demande donc s’il est possible de faire un journalisme qui exploiterait véritablement ce média qu’est l’internet et qui n’en ferait pas qu’un simple canal. Les lecteurs sont déçus de lire la même chose, de lire des papiers pas écrits, pas adaptés au web. Johan Hufnagel (Slate.fr) affirme même que “l’innovation journalistique n’existe pas sur le web” (on n’est pas dans la merde). Des pistes de formats qui exploitent le web, il y en a là, là, là, là, là et beaucoup d’autres aussi, auxquelles on a pas encore pensé. Le responsable actu et web social chez Google explique qu’il ne faut pas se concentrer sur l’innovation mais la transformation du modèle. Ouais, faisons-ça, transformons. Explosons le mode de fonctionnement des rédacs web. Des fantasmes de journaliste en début de carrière sûrement…

Et pas la peine de vouloir partir : “il fait froid dehors”. Allez, je vous laisse, j’ai une dépêche à éditer.