
Je suis professeur d’histoire-géographie. J’enseigne à Aubervilliers, une ville de "banlieue populaire". Sur Twitter, on m’a accusé de tous les maux. Une modeste réponse
Lorsque je m’adresse à mes élèves, je ne m’adresse pas à des Noirs, des Arabes, des Asiatiques ou des Blancs. A des Musulmans, des Chrétiens, des Juifs ou des Athées. Je m’adresse à des élèves. Et il se trouve que parmi ces élèves, il y a des Noirs, des Arabes, des Asiatiques...
Ma mission est de leur transmettre des savoirs, des savoirs-faire, de la culture, de l’envie, de la réflexion.
Ma mission est aussi d’être attentif à elles et à eux. Ma mission est de leur donner la parole, de les écouter, de les entendre se révolter, d’écouter leurs joies, d’écouter leurs envies, d’écouter leurs craintes.
Ma mission est aussi de les préparer. Des les informer. Je dois leur dire que la société française est une société qui comporte des dangers.
Ma mission est d’éveiller leur conscience. Je ne suis pas devant mes élèves pour produire un catéchisme révolutionnaire. Je ne cherche pas à les embrigader. Je ne cherche pas à les utiliser à mon profit. Je n’ai aucun intérêt autre que celui de leur avenir.
C’est pour cela que je fais ce métier, que je l’aime profondément, que j’aime profondément tous mes élèves parce qu’ils ont tous en eux, certainement, la puissance de changer le monde. C’est peut-être naïf. Je m’en fous : quand nous sommes en classe, quand nous expérimentons ensemble des formes horizontales d’acquisition des savoirs, de débat ; quand nous allons voir Ouvrir la Voix d’Amandine Gay, quand nous parlons de la violence subie des combattants de la Grande Guerre, quand nous parlons de gentrification, quand je pars dans de grandes envolées lyriques pour leur donner le goût du paysage, quand nous lisons la lettre d’un poilu qui va être fusillé, quand nous parlons des ravages de l’exploitation minière en Afrique, et même quand on s’interroge sur la citoyenneté à Rome : nous interrogeons toujours le monde dans lequel nous vivons.
Et ce monde n’est pas satisfaisant. Libres à eux de s’en contenter. Libres aux autres de s’en contenter.
Alors, je ne peux pas faire semblant. Nous ne pouvons pas faire semblant. Je m’adresse à des élèves et je m’adresse à des élèves qui sont Blancs, Noirs, Arabes, Asiatiques...
La République a ses angles morts. La République parfois préfère se cacher les yeux. Je pourrais en parler pendant des heures, et écrire sans m’arrêter à ce sujet. On se contentera de parler des élèves. (...)