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l’OBS
« Je vous écris du Maroc. J’écoute les riches et les nantis et je n’entends qu’un silence lugubre »
Article mis en ligne le 29 avril 2020

D’un côté les pays riches, de l’autre la périphérie, ce « tiers-monde bien réel », qui doit pourtant lui aussi affronter l’épidémie… Mohammed Ennaji, historien et sociologue, s’inquiète du silence des premiers face aux pays « de la sous-traitance et de la main-d’œuvre à bas prix ».

Je vous écris du Maroc où, comme par hasard, on réfléchit par les temps qui courent à un nouveau projet de développement. C’est peut-être de ce côté-ci du monde, Maghreb, Afrique, dans ce tiers-monde bien réel, que l’on pressent le mieux l’horizon qui se profile. C’est ici, où la majorité des gens est dépouillée du rêve d’un futur décent, que l’on est le mieux placé pour prédire ce qui nous attend. C’est parce qu’ici, au Maroc, nous n’avons pas attendu la pandémie pour découvrir l’extrême fragilité de notre système de santé, nous le savions de longue date et nous en portons la trace dans notre chair. C’est aussi parce qu’ici nous sommes plus familiers des maux, des pénuries, du manque, et que le fantôme des épidémies continue à nous hanter, dans nos mémoires incertaines.

Je vous écris du Maroc où, comme par hasard, on réfléchit par les temps qui courent à un nouveau projet de développement. C’est peut-être de ce côté-ci du monde, Maghreb, Afrique, dans ce tiers-monde bien réel, que l’on pressent le mieux l’horizon qui se profile. C’est ici, où la majorité des gens est dépouillée du rêve d’un futur décent, que l’on est le mieux placé pour prédire ce qui nous attend. C’est parce qu’ici, au Maroc, nous n’avons pas attendu la pandémie pour découvrir l’extrême fragilité de notre système de santé, nous le savions de longue date et nous en portons la trace dans notre chair. C’est aussi parce qu’ici nous sommes plus familiers des maux, des pénuries, du manque, et que le fantôme des épidémies continue à nous hanter, dans nos mémoires incertaines.

Je vous écris du Maroc, de ce Maghreb, où nous sommes toujours considérés comme la périphérie et non le centre du monde, ou sa semi-périphérie pour reprendre l’expression de l’historien Fernand Braudel. Les cartographes des grandes métropoles ne semblent guère se soucier de dessiner de nouvelles cartes qui notifieraient une nouvelle redistribution des rôles. Aussi nous voilà toujours parqués là où nous étions depuis les premières esquisses dressées par les conquérants du Nord, quand ils nous ont marché dessus sans crier gare avant que la colonisation ne vienne acter l’occupation de nos terres.

De fait, nous, dans nos pays, sommes déjà confinés. En plus de nos passeports, nous sommes tenus d’obtenir des visas pour sortir de l’enclos auquel nous sommes habitués, épidémie ou pas. Alors, de l’avant-épidémie à l’après-épidémie, rien peut-être n’est censé changer pour nous ! La périphérie, notre patrie, n’est pas ici un concept, mais une réalité inscrite sur nos cartes d’identité, elle forge le regard que nous portons sur le monde, ce monde dont nous sommes, pour notre malheur, les oubliés. C’est de là que provient notre instinct de survie, nous sommes tels des animaux craignant un séisme, tant nous savons ce qui nous attend. Les pays riches s’inquiètent aujourd’hui des lendemains incertains, mais nous, cette inquiétude, nous la vivons dans nos entrailles, dans l’incertitude qui nimbe l’avenir de nos enfants. (...)