
" La conception d’une laïcité-liberté n’est pas utopique ou naïve, elle est réaliste. Elle sait se saisir des lois existantes pour protéger la République de ceux qui tenteraient de lui nuire".
Ancien président de l’Observatoire de la laïcité, supprimé par le gouvernement, Jean-Louis Bianco défend la laïcité avec les armes du droit et de l’histoire. A la veille de la Journée nationale de la laïcité, il revient sur ce qu’est la laïcité et sur l’évolution que certains veulent lui donner.
Pour vous qu’est-ce que la Laïcité ?
La laïcité est un principe politique qui se traduit par des lois, des décrets, une jurisprudence... Elle repose sur trois piliers. Le premier, c’est la liberté. La déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen affirme dans son article 10 que « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ». C’est la liberté de conscience dont découlent la liberté de croire ou ne pas croire, la liberté de changer de religion, la liberté de pratiquer son culte… L’article 4, quant à lui, stipule que « la liberté de chacun consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». Ces deux articles fixent donc les deux limites à la liberté individuelle : lorsqu’elle vient à troubler l’ordre public et lorsqu’elle nuit à autrui.
Deuxième pilier, la séparation des Églises et de l’État instaurée par la loi du 9 décembre 1905. La conséquence pratique de cette loi n’est autre que la neutralité religieuse de l’État. Un fonctionnaire d’État, hospitalier, territorial ou une structure chargée d’une mission de service public doit observer cette neutralité. C’est, pour nous français, un garant d’égalité.
Troisième pilier, souvent oublié et pourtant fondamental, la citoyenneté. La République laïque fait de la différence de ses citoyens une richesse, quelles que soient nos origines ou nos convictions, à condition de ne pas oublier que nous sommes d’abord, toutes et tous, des citoyennes et des citoyens à égalité de droits et de devoirs.
Donc finalement, la laïcité, ce n’est pas si compliqué. C’est un principe qui, s’il est appliqué avec fermeté et sérénité – la jurisprudence est riche en ce domaine – permet le vivre ensemble et de régler une grande partie des situations conflictuelles. Mais, malheureusement, la loi sur la laïcité est instrumentalisée par des gens qui veulent lui faire dire ce qu’elle ne dit pas. (...)
La campagne lancée par le Ministère autour des affiches sur la laïcité est un exemple flagrant du détournement du concept de laïcité. Par le choix des prénoms mais aussi des enfants qui apparaissent, on renvoie à une identité religieuse présupposée.
Dans le climat actuel, qui est un climat de peur – beaucoup de gens ont du mal à vivre, cette conception de la laïcité est dangereuse. On focalise sur tout ce qui ne va pas. Il faut parler de la laïcité en positif, la laïcité est un atout, est une richesse. Il se passe des choses formidables – y compris dans les quartiers populaires – pour promouvoir et défendre la laïcité.
L’observatoire de la Laïcité a été « démantelé » par le gouvernement. Pourquoi selon vous ?
L’observatoire de la laïcité avait conquis une position d’indépendance. Il avait une composition exceptionnelle qui faisait sa force. Quatre parlementaires, deux de la majorité, deux de l’opposition, deux hommes, deux femmes.
Il y avait aussi sept ministères représentés – au travers de hauts fonctionnaires. Et pour finir dix personnalités qualifiées extraordinairement diverses. Depuis des années, tous nos avis étaient rendus par consensus. Nous étions libres. Nous avons su dire les choses avec nuance et modération. Cette indépendance était perçue comme une menace par ceux qui veulent être la police de la pensée.
Depuis, vous avez créé la Vigie de la Laïcité. De quoi s’agit-il ?
La Vigie réunit des chercheurs et des acteurs de terrain. Il y a sur le site quatre rubriques « décrypter l’actualité », « les bonnes pratiques pour faire vivre la laïcité », « que se passe-t-il ailleurs » et enfin, « que dit la recherche ». Notre maxime est une citation empruntée à Condorcet, « Nous ne voulons que les Hommes pensent comme nous, nous voulons que les Hommes apprennent à penser par eux-mêmes ». C’est ça l’émancipation, c’est ça l’appel à la raison, c’est ça la laïcité. (...)
Après Carcassonne avec les enseignants, interventions suivies de riches échanges aujourd’hui avec les élèves d’un lycée de Lunel et des habitants de Vauvert.
Sur la laïcité, celles et ceux qui s’agitent sur les plateaux TV et radio ne doivent pas nous faire abandonner le terrain.— Nicolas Cadène (@ncadene) December 7, 2021