
(...) Tout ne s’explique pas par l’appropriation des médias par des groupes privés dont les motivations sont purement mercantiles ou symboliques. Mais rien ne s’explique sans. Tout ne s’explique pas en parlant du poids de la publicité dans le financement des médias privés et publics, mais rien ne s’explique sans. Tout ne s’explique pas par la pauvreté de la formation des journalistes et la faiblesse de culture générale qui en découle, mais rien ne s’explique sans. (...)
Un journaliste a le droit de manger, de se loger, de voyager. Et a donc le droit à un salaire. Pour travailler, il devra le faire en tenant compte des contraintes structurelles évoquées ici. Faire des concessions parfois, des compromis aussi. Mais jusqu’à quel point ? Quelle sera la limite ?
Régulièrement, des sondages d’opinion – qui valent ce qu’ils valent – montrent que les journalistes sont des mal-aimés. On préfère largement les pompiers ou les infirmières aux journalistes. Leur cote de confiance est basse et côtoie celle de François Hollande. Pourquoi ? J’y vois deux grandes raisons – il y en a sans doute d’autres. Mais les deux majeures sont : 1/ les journalistes connus du grand public ne sont pas crédibles ; 2/ les médias (et donc les journalistes qui y participent) se ressemblent, se copient, en n’hésitant pas à tomber dans la surenchère ; pis : les médias (les journalistes) se trompent et parfois même, les médias (les journalistes) mentent… (...)
1. Les journalistes connus du grand public ne sont pas crédibles
Tous les journalistes ne sont pas des vedettes. Peu peuvent même se vanter de faire régulièrement la « une » de Paris Match comme Claire Chazal, il n’empêche que le haut de l’iceberg contribue pour beaucoup à donner une mauvaise image de sa partie immergée. Pour faire simple : les animateurs vedettes (David Pujadas, Claire Chazal, Yann Barthès, Laurent Delahousse, etc.) et les commentateurs vedettes (Jean-Michel Aphatie, François Lenglet, Éric Zemmour, Laurent Joffrin…) sont des journalistes factices. Ils laissent penser que le journalisme, c’est ce qu’ils font. Alors qu’ils ne font qu’animer et commenter.
Je ne vais pas m’éterniser ici sur le poids qu’occupe le commentaire dans nos médias, mais il devient extrêmement difficile d’y échapper. Dans les journaux, éditorialistes, chroniqueurs ou auteurs de tribune libre occupent une place considérable. À la radio, les matinales sont remplies de chroniqueurs qui ont un avis quotidien sur la géopolitique, l’économie ou la politique. À la télévision, les débats d’éditorialistes succèdent aux débats d’experts.
Et de manière générale, le lecteur, l’auditeur et le téléspectateur ne peuvent que constater : le commentaire (c’est-à-dire la simple opinion) prime sur le fait, l’éditorialiste sur le reporter. (...)
Que peuvent faire les journalistes – les vrais – face à l’omniprésence de ces commentateurs et de ces animateurs qui se revendiquent journalistes ? Ils pourraient par exemple se désolidariser de leurs collègues et tweeter : « Not in my name ». On demande bien aux musulmans de se désolidariser des djihadistes de l’État Islamique ou d’Al Qaeda. Pourquoi ne pas demander aux journalistes de France 2 de se désolidariser des analyses foireuses de François Lenglet ? Pourquoi ne pas demander aux journalistes de RTL de s’exclamer « Not In my Name » après chaque crotte laissée sur les ondes par Éric Zemmour ? Pourquoi ne pas demander aux journalistes de Canal Plus – si tant est qu’il y en ait – de condamner les errances déontologiques de Yann Barthès et de son équipe dans le « Petit journal » ? (...)
2. Les journalistes se ressemblent et se copient
La plupart des journalistes ne sont pas des commentateurs ou des animateurs. Ils essayent de faire leur métier – tant bien que mal – dans des médias qui ont une fâcheuse tendance à se ressembler, à se copier et à tomber dans la surenchère.
Je pourrais revenir ici sur la misère du journalisme régional qui produit une information locale de piètre qualité. En témoignent les « Unes » navrantes de la PQR.
Je pourrais revenir sur la folie du journalisme dans la course poursuite après les attentats contre Charlie Hebdo, la couverture médiatique des chaînes d’info en continu, les « unes » de la presse – similaires – au lendemain de la mort des ravisseurs.
Je pourrais revenir sur l’indigence du journalisme lors de la couverture de « l’affaire DSK » et la tweetomania délirante qui a occupé les journalistes politiques devenu pour l’occasion de véritables nombrils électroniques (...)
Les médias se ressemblent, les médias se copient et les médias font la course à l’échalote. Et les journalistes qui y participent y contribuent également. Et parfois se trompent. (...)
Dans tous ces exemples, il n’y a pas que des animateurs vedettes et des commentateurs qui sont impliqués. Il y a certainement des directions de journaux, des rédacteurs en chef, mais aussi des journalistes, des reporters, photographes… Des journalistes inconnus, des reporters inconnus, des photographes inconnus. Qui ont toutes les excuses du monde, à faire mal leur boulot, qui ont toutes les raisons du monde à vouloir avoir un salaire décent à la fin du mois. Mais la pression subie, la précarité réelle, ne doivent pas faire oublier que les journalistes ont une part de responsabilité dans la formation des esprits, dans la diffusion de la culture, du savoir au même titre qu’un enseignant ou qu’un intellectuel.
Cette responsabilité mérite une exigence sans faille. (...)