
Le « bâton de la parole » passe de main en main. Assis en rond face au mot « grandir » écrit en rouge sur le tableau, une douzaine d’enfants échangent autour de ce verbe. Dans cette classe du collège parisien Lucie-et-Raymond-Aubrac, réservée aux enfants peu scolarisés dans leur pays d’origine et arrivés en France il y a moins de deux ans, les élèves s’expriment dans un français encore approximatif.
« On n’est pas né ici alors on doit travailler et se respecter, c’est ça grandir », dit Sandji, originaire du Sri Lanka. Alors que le « bâton » continue sa ronde, Moumouni Malle, lui, passe son tour. Réservé, ce jeune Ivoirien ne prendra pas la parole lors de cet exercice. Du haut de ses 16 ans, il n’est déjà plus un enfant.
Arrivé à Paris le 17 novembre 2014 – son extrait de naissance dit qu’il est né le 1er janvier 1999 à Aboisso – Moumouni est rapidement scolarisé par l’Aide sociale à l’enfance (ASE) dans cet établissement du 11e arrondissement. En tant que mineur, il est pris en charge par l’ASE qui lui fournit une chambre d’hôtel meublée et un solde de 400 euros par mois. Deux mois plus tard tout s’arrête. Pour le tribunal pour enfants de Paris, ses documents ont été « falsifiés ». La justice demande alors au jeune Ivoirien de se soumettre à un test osseux, pour déterminer son âge.
Le couperet tombe. Moumouni est déclaré majeur lors d’un jugement où personne ne lui a dit de se rendre. « Il n’est pas normal que ce soit à lui de prouver sa minorité alors qu’il a un document officiel de son pays d’origine. Or, la justice est incapable de prouver sa majorité avec des tests osseux qui ne sont pas fiables », s’emporte Brigitte Wieser, membre du Réseau éducation sans frontières (RESF). Ni considéré comme majeur ni comme mineur, scolarisé mais sans logement depuis le 10 mars, Moumouni se retrouve dans l’impasse. (...)
La mobilisation s’organise. Très impliquée dans le dossier, Alice Méry, une de ses professeurs, assure que Moumouni est « un très bon élève » qui « veut s’en sortir par les études ». « Avec ce qu’il a vécu, il est très courageux. Il est déjà en voie d’alphabétisation », confie la jeune femme.
Périple de trois mois
« Mes parents n’avaient pas les moyens de payer mes études alors je suis parti. Il fallait que je sorte de Côte d’Ivoire. Alors j’ai travaillé un peu pour avoir de l’argent et j’ai pris le bus pour rejoindre la France », se souvient le jeune garçon parti en août 2014 d’Aboisso, à cent kilomètres d’Abidjan. Le jeune Ivoirien entame son voyage seul. Un périple qui durera trois mois à travers le Mali, la Mauritanie et le Maroc avant de rejoindre l’Espagne. Mais pénétrer en Europe n’est pas simple. « Une fois au Maroc j’ai rencontré un passeur qui nous a fait traverser la Méditerranée pour 310 dinars (30 euros). J’ai travaillé un peu et j’ai pris la mer dans un zodiac avec 17 personnes. C’est Dieu qui nous a sauvés », poursuit Moumouni.
Le voyage se poursuit en Espagne, jusqu’à Bilbao « grâce à l’aide de l’église ». Mais la barrière de la langue le pousse à rejoindre Paris pour réaliser son rêve : devenir mécanicien. Moumouni compte désormais sur l’aide de son collège. « Le fonds social éducatif de l’établissement lui a payé quelques nuits dans une auberge de jeunesse et moi je lui donne à manger le matin et le soir », indique Joëlle Billaud, l’agent d’accueil du collège.
Contre toute attente, l’espoir renaît. Depuis lundi 16 mars, Moumouni est hébergé chez un particulier pour trois semaines. « Il serait resté avec moi sinon. Je ne l’aurais pas laissé dehors », ajoute la gardienne du collège. Elle a déjà aidé d’autres jeunes dans le passé. L’Accompagnement des jeunes isolés étrangers (Adjie) va déposer un recours au juge des enfants dès que la famille du collégien, restée en Côte d’Ivoire, lui aura envoyé un autre document attestant sa minorité. Le combat n’est donc pas fini même si les délais se comptent en mois. « Comment va-t-il faire d’ici au jugement ? », s’interroge Alice Méry.
« J’aime la France »
Le cas de Moumouni Malle n’est pas un cas isolé. Soixante-quatorze mineurs isolés sont recensés actuellement à Paris, dont 20 ont obtenu un hébergement pérenne. Les autres se débrouillent comme ils peuvent. (...)